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36 Liste des Textes
[No.5]     Apr/15/2009 04:40:16

 

Pierre Cabanne

- Souffle de lumière
- L'éternel instant présent


Pierre Courthion

- Les préfaces de 1967 à 1986


Charles Juliet

- La douce lumière de Bang Hai Ja
- Poème ‘Pour Hai Ja’
- La dimension spirituelle de l'œuvre de BANG HAIJA


André Sauge


Olivier Germain-Thomas


Maurice Benhamou

 

34 Souffle de lumière par Pierre Cabanne
[No.4]     Apr/15/2009 04:01:06

 

Souffle de lumière

Bang Hai-Ja a créé une patrie d’images, une contrée imaginaire où elle vit, peint, aime et se trouve bien. Elle a sa Corée à elle et son univers, son espace vital, que sont ses peintures, elle naît chaque jour avec elles, discrète, fragile, efficace, parle d’elles avec précision et ferveur. Quand elle n’est pas là, d’autres viennent se promener dans le pays de ses tableaux, découvrent qu’ils s’y plaisent, emportent dans leurs regards et leur esprit sa lumière et cet impalpable scintillement de souffles colorés, ces constellations, ces germinations vibrantes qui épousent les sortilèges de l’immatériel.
Bang Hai-Ja habite le pays de ses racines, de ses éveils, de son enfance, quand elle découvrait, émerveillée, les plantes, les pierres, les cours d’eau limpides, le ciel et ses myriades d’étoiles, l’aurore et le crépuscule. Son pays est celui de l’enchantement, de la pureté, de l’innocence. Entre la Corée de son enfance et de sa jeunesse et la France où elle a regardé, étudié et interrogé Van Gogh, Cézanne, Kandinsky ou Paul Klee, elle a tracé un trait d’union, un fil d’Ariane pour « aller au fond de moi-même » dit-elle et unir l’Orient et l’Occident, la tradition calligraphique et la révélation de l’abstraction.
Bang Hai-Ja ne peint pas la nature mais l’espace, le signe, la tache, l’éclair, le cri qui deviennent par une sorte de magie visionnaire, éclaboussures de lumière, frissons d’astres, sismographies d’appels, de rumeurs. Les suggestions et les vibrations d’un cosmos imaginé. L’émotion se cristallise en elles, ouvre un chemin vers l’infini.

La Peinture de Bang Hai-Ja est un jardin ébloui, le regard parcourt ses floraisons, rien ne pèse, ne dure sinon l’épanouissement, l’épanchement. Une autre voie est ouverte, une nouvelle distance est prise avec le monde et de nouvelles approches deviennent possibles. Ainsi se trouve-t-on face à un art qui ne vise pas à représenter, donc à réduire l’homme à un esclavage par l’image, mais au contraire à le libérer, à lui restituer son autonomie, son originalité. Un art qui abolit l’ordinaire et rend à l’artiste son pouvoir créateur et à la création sa plénitude.
Avec la figuration essoufflée dans de dérisoires et moroses impasses, l’aventure de l’art paraissait achevée. Bang Hai-Ja compte parmi ceux qui, dans le monde, ont pris en charge d’autres naissances. La peinture vivante qu’elle a découverte à Paris a relayé les bonheurs de la calligraphie reçus de celui qu’elle regarde comme son maître, Chusa qui, peintre, lettré, poète et calligraphe, vécut de 1786 à 1856. Il avait rencontré, entretenu des relations épistolaires avec des lettrés chinois et créé un style original. Son influence et l’assurance que la peinture ne vient pas de la réalité mais du cœur, des émotions, de l’imprévu, des angoisses de la vie, ont orienté Bang Hai-Ja, en communion avec la culture héritée du bouddhisme, vers cet « espace de dedans » où elle puise son imagination et inventorie ses pouvoirs.

Bang Hai-Ja n’a jamais songé, en venant en Occident, à s’évader de ses origines, au contraire, elle n’a eu de cesse de les enrichir de ses découvertes par l’interrogation des langages novateurs, par une faculté surprenante de préhension de tous les phénomènes apparitionnels. Ainsi a-t-elle fait naître ce monde visionnaire qui nous enchante et nous trouble, n’a son pareil nulle part, rompt les amarres du visible et se laisse descendre au fond d’elle-même, de ses pulsions, de ses fantasmes, de ses fièvres. Sa main y saisit à la lisière de l’impondérable ces rébus inspirés aux couleurs de fête, de ciel, de rêve, sans commencement ni fin, où les élans du geste s’approprient l’espace et donnent rythme et vie à ses embarquements pour l’absolu. « Voir c’est fermer les yeux » disait Wols, Bang Hai-Ja ajoute : « C’est ouvrir son cœur ».
Elle dit qu’elle doit, étant très jeune, la plus grande part de ses connaissances au sculpteur et historien d’art coréen, Yun Kyông Yol, qu’elle avait rencontré lors d’une visite avec un groupe d’élèves du lycée de Séoul. « C’est lui qui m’a fait saisir l’essence de l’art coréen » dit-elle. Elle est toujours restée fidèle à son exemple et à son enseignement à travers une longue correspondance. Yun Kyông Yol lui a fait connaître la Montagne aux Dix Mille Bouddhas, Nam San, à Kyongju, capitale de l’ancien royaume de Silla. Elle a confié à Charles Juliet que « Chaque fois sa rencontre était une invitation à un voyage intérieur. Il m’a ouvert l’œil du cœur à la beauté … »

A plusieurs reprises, la santé de Bang Hai-Ja l’a obligée à de longs séjours dans des monastères bouddhiques. Elle y a médité et peint et, de retour à Séoul, elle s’est inscrite à l’Académie d’Art moderne. Peu à peu s’est éveillé en elle un langage de réflexion et de conquête, elle prend à Paris, où elle s’installe en 1961, conscience de sa propre liberté, de l’importance de la couleur et de la lumière.
La calligraphie qu’elle a toujours pratiqué n’a plus de prises, la ligne et la tache deviennent des médiums qui l’aident à franchir les lois et les routines mentales. Les sages bouddhistes ont écrit dans la Sutra du Diamant : « Nous ne percevons pas le monde tel qu’il est en réalité. Notre imagination productive, nourrie par la force qu’engendre l’habitude superpose au monde une construction illusoire… »

Quand Bang Hai-Ja s’est éloignée du réel, de ses conventions, de son arbitraire, son étonnement a été grand de pouvoir dévoiler et questionner l’inconnu, l’ineffable, l’inaccessible. Sa voie se dessinait dans une préhension inaccoutumée du cosmos saisi comme mystère, surprise, extase, allégresse, ferveur.
L’art de Bang Hai-Ja n’est ni une aventure, ni un exploit, mais une quête. Sa peinture, d’où se dégage une intense poésie, est un organisme vivant, indépendant, qui produit de rayonnants effets lumineux. Elle-même n’est que le réceptacle et l’intermédiaire de sa propre force créatrice. Elle lui est donnée.
Revenant récemment, en avion, de Corée où elle exposait au Musée Whanki à Séoul, le soleil l’éclaira brusquement d’éclatantes nuances d’orangé à travers le hublot et Bang Hai-Ja reçut cette lumière comme un appel, un don, elle s’en imprégna et lorsqu’elle évoque ce phénomène, elle en est encore bouleversée. Elle a fait aussitôt un croquis, peut-être en fera-t-elle un tableau ? Son regard et son cœur ne faisaient qu’un avec la couleur qui paraissait venir de l’infini.
Ce qui vient d’ailleurs est pour Bang Hai-Ja une offrande. Comme la couleur, comme la matière, comme la vie. Ainsi ces formes trouvées par hasard dans son atelier, ou au cours d’une promenade en forêt. Carton, écorce, pierre, bois, ces sédiments du hasard deviennent des sculptures peintes et fichées sur socles. Ce ne sont pas des pièces à part dans son œuvre, elles lui sont apportées comme ses peintures, les unes et les autres sont arts de délivrance, d’exploration, d’éveil et de fièvre.
« La lumière peint avec moi, écrit Bang Hai-Ja dans un de ses poèmes, elle devient mon cœur, je deviens lumière. Toutes les deux nous entrons dans le tableau… »
Elle se sert de papier coréen de feuilles et de plantes fait à la main, selon des traditions millénaires, par des moniales bouddhistes. On peut le froisser avec les doigts, le modeler. Elle emploie aussi du textile non tissé dit géotextile dont elle apprécie la transparence. Bang Hai-Ja qui travaille à plat, sur le sol, peint avec la matière, non sur elle. Les couleurs se juxtaposent, se marient, créent des nuances subtiles et naissent sur fond de rêve ces visions imaginaires ou informelles qu’elle évoque aussi dans ses poèmes, ces éclatements cellulaires investis, traversés de lumière dont la disponibilité affective est source de bonheur.
Pour calligraphier, elle emploie des pinceaux en poils de chèvre dont elle tient le manche en bambou entre le pouce et l’index, l’annulaire en bas. Le poignet, qui doit rester souple, comporte trois qualités, la rapidité, la puissance et la force.
Bang Hai-Ja n’exerce aucune pression sans jamais se départir de son calme, de sa maîtrise de soi. Elle parle d’une voix douce, égale et ne hausse jamais le ton.

A Art-Paris, en 2004, la galerie Guillaume a présenté d’une part des pièces d’une conception nouvelle dans son œuvre, assemblages de fragments peints des deux côtés, collés en formes libres, montés sur un support et d’autre part des peintures qui peuvent être regardés des deux côtés comme un jeu de va-et-vient, d’avant et d’arrière. Bang Hai-Ja a découvert ces textures non tissées lorsqu’un jour, en 1991, un paysagiste est venu les employer pour planter en terre des bambous sur sa terrasse. Leur particularité est qu’on peut peindre au recto et au verso, les couleurs qu’Hai-Ja prépare elle-même sont absorbées, ce qui donne de curieuses impressions de transparence.
Elle fait aussi appel à la terre. Visitant la Provence en 1996, elle a été subjuguée par les anciennes carrières d’ocre à ciel ouvert de Roussillon. Les vibrations colorées allant du gris à l’orangé l’ont bouleversée et elle a vu tout de suite comment intégrer cette matière et sa lumière, en y ajoutant d’autres pigments, à ses recherches colorées leur donnant ainsi une énergie nouvelle. « Cette énergie m’a pénétrée jusqu’à la moindre de mes cellules » dira-t-elle. Elle n’est pas moins assurée que les cellules de celui qui les regarde ne soient également pénétrées par cette énergie tellurique.
Dans l’atelier, un fond sonore accompagne Bang Hai-Ja. Passionnée de musique, elle écoute Bach ou Mozart, Satie, Mahler ou Messiaen qui note des chants d’oiseaux au lever du jour dans la forêt ou en pleine montagne. Dans sa jeunesse, elle allait souvent au concert avec son frère violoniste. La musique de son pays la touche particulièrement, le tanso qui est un instrument de musique coréen fait de bambou, ou le kayagum la cithare coréenne composée d’un caisson de bois de paulownia avec douze cordes de soie, sont ses préférés.
Adolescente, elle pratiquait le Qigong, la danse du Tao qui est une sorte de calligraphie physique où le corps épouse l’espace. Plus tard, dans sa peinture, elle entrera également en communion avec l’énergie circulant dans l’univers. Ce terme, l’énergie, revient souvent dans les propos de Hai-Ja. Elle la reçoit avec la lumière et avec la couleur qui lui sont indissociables. Ils viennent vers elle et, à son tour, elle les communique. Un dialogue secret s’établit dans le silence, la paix et l’amour.
A travers ses œuvres, Bang Hai-Ja donne à partager son cheminement intérieur, elle les expose non par désir de se montrer, de se mettre en vedette, mais pour communiquer le message qu’elle porte en elle, en union spirituelle avec le cosmos.
Lorsque lors d’un entretien à la radio, Olivier Germain-Thomas lui demande si elle n’aurait pas pu s’accomplir aussi profondément dans son pays, elle répond : « Certainement oui, mais j’avais besoin de l’Occident pour compléter en moi le monde ».
Elle écrit dans l’un de ses poèmes :
Par le chemin intérieur
Par le chemin de l’éveil
Se dissipent les ténèbres
Commence à s’ouvrir le chemin lumineux
Celui
Où bat le cœur de l’univers
Où s’éveillent les cellules
Je lance des graines des lumières
Sur la terre et dans le ciel.

Bang Hai-Ja est aussi naturellement poète qu’elle est peintre.
Elle a reçu dès son enfance la révélation du pouvoir et de la sensibilité des mots. Elle a été touchée par le comportement de l’un de ses cousins, poète qui, à certaines périodes, partait de chez lui pour recevoir les leçons de la nature, pour écouter le bruissement de l’éclosion des fleurs de lotus. Il avait composé un jardin extraordinaire où sur les dalles de pierre étaient gravés des vers. « Il m’apprenait des poèmes et me les faisait réciter » dit Hai-Ja.
La poésie est pour elle un chemin intérieur dont les mots sont des couleurs. Lorsque le matin elle pénètre dans son atelier, elle se recueille dans le silence et l’envie lui vient de peindre ou d’écrire, de transcrire ses sentiments dans l’exaltation ou la paix.
Elle a elle-même illustré des poètes, créant des correspondances entre ce qu’elle reçoit d’eux et ce qu’elle imagine. Elle n’illustre pas au sens strict du terme, elle a exécuté des lavis pour des recueils de poèmes Une joie secrète de Charles Juliet et Au chant des transparences de Roselyne Sibille. Des calligraphies de Bang Hai-Ja accompagnent Les Mille Monts de lune, anthologie de poèmes de moines bouddhistes coréens.
Sa main a tenté de suivre la pensée de ces hommes de foi, leur méditation solitaire dans le silence. Ses signes suscitent des rapports directs, intimes, avec leur vision, donnent à voir des présences intemporelles. L’encre et le papier s’accordent pour atteindre l’ineffable, pour faire vivre ensemble chaque mot, chaque idéogramme, parvenir à l’harmonie, à l’équilibre, « l’unité qui embrasse l’univers » lit-on dans les Entretiens de Confucius.

Froisser, peindre, écrire, répondent à un même élan, un même appel, car chaque forme d’art met Bang Hai-Ja aux aguets. Parler d’évolution n’a pas de sens chez elle, les grandes peintures de la Salpêtrière en 2003 qui occupaient l’espace de leurs souffles éblouis, les assemblages en volumes colorés, les calligraphies concises et les lavis chaleureux, la discipline et la liberté différent, mais sans antagonismes ni ruptures. Ils expriment une aspiration égale, transmettre l’énergie.
Cette femme douce et frêle est un brasier en fusion, son œuvre échappe à la normalité, c’est un lieu de rencontres en suspens dans l’espace et le temps. Il s’agit à travers des moyens picturaux dissemblables de l’approfondissement d’un même désir, d’une compréhension de la peinture comme phénomène de révélation dont l’artiste, avant le regardeur, n’est pas seulement acteur mais témoin.

Bang Hai-Ja écrit :
De tout cœur de tout corps
Peindre en écoutant le chant de la vie
Voir les couleurs se marier s’aimer
Les traits s’unir et danser
Voir apparaître l’espace libre
S’ouvrir l’œil du cœur
Puis tracer le trait unique
Sur l’infini du ciel.

Pierre Cabanne 2005

 


L’éternel instant présent ...

Son apparence est de fragilité, elle parle peu, sourit, commente avec lenteur et précision son travail qui est affaire d’inspiration, de méditation et de ferveur.
Elle ne montre aucune vanité d’être l’une des grandes artistes coréennes qui a accédé à la notoriété internationale. Elle se nomme Bang Hai Ja et expose ses œuvres récentes dans un des lieux les plus vénérables de Paris, la chapelle de la Salpêtrière construite de 1670 à 1677 par Libéral Bruant pour la vaste cité hospitalière que Louis XIV fit édifier pour les malades et les indigents. D’emblée on s’étonne que l’œuvre de Bang Hai Ja, de source et d’esprit orientaux, trouve sa juste place dans les bâtiments de pur classicisme français.

Elle y occupe l’espace démesuré composé d’une rotonde sur laquelle se greffent quatre nefs et quatre chapelles octogonales ; elle célèbre la vie, la lumière, et la joie dans ce lieu où, des siècles durant, la souffrance et le malheur trouvèrent refuge. Une communion imprévue, étrange, est née de ce rapprochement, de cette confrontation entre cette œuvre porteuse de mystère, et cette architecture singulière : la force de l’esprit, celui que le bouddhisme inspira à Bang Hai Ja , et celui que le christianisme fit bâtir, est au service de l’invisible devenu réalité.

Bang Hai Ja est née et a passé son enfance et sa jeunesse à Séoul. Ses récits sur sa famille évoquent un monde de féerie ; sa mère apprend à danser et à chanter à ses enfants dans le jardin fleuri, elle était calligraphe comme son propre grand-père qui partait, l’été, à travers la Corée, peindre d’extraordinaires paysages, et l’hiver où la nature perd sa floraison, il fabriquait des orchidées de papier qu’il accrochait sur des branches dans sa chambre…

Souvent elle allait dans la montagne cueillir des fleurs, longeant les rivières dont l’eau transparente laissait voir des pierres de différentes couleurs ; elle en admirait les reflets miroitant. Elle s’identifiait aux arbres et aux plantes. De ses souvenirs enchantés Bang Hai Ja a reçu la grâce d’en être la messagère ; elle ne représente pas la nature, elle est elle-même cette nature dont elle réinvente, avec patience et ferveur, les sortilèges.

Elle a beaucoup exposé, partout dans le monde, dans les lieux les plus divers, mais jamais elle n’avait confronté ses œuvres à un tel  espace monumental. Dans l’imposante chapelle de la Salpêtrière elle apporte autant qu’une forme d’art, une pensée. Nourrie de la spiritualité bouddhiste, familière de la vie et de l’enseignement de Bouddha, sa doctrine est pour elle une sorte d’éveil permanent ; elle s’est ouverte à la respiration de la nature grâce à ce qu’elle a reçu de ses méditations, de ses lectures. Son deuxième éveil fut l’écriture qui, par la poésie pratiquée couramment par les siens, la conduisit à la peinture.

Elle y vint tout naturellement avec ces grâces feutrées de chat qui la caractérisent. L’illumination était intérieure, sans tumultes ni contestations ; le naturel même. Il inspirait à Bang Hai Ja des aquarelles issues de la nature qui répondaient à l’accomplissement de sa foi bouddhiste.

Élève à la faculté des Beaux-Arts de l’Université nationale de Séoul, sa santé l’oblige à faire plusieurs séjours dans des monastères où elle a des entretiens avec de grands maîtres ; elle les interroge, dialogue avec eux, médite. Chaque matin, aujourd’hui encore, dans son atelier, elle se recueille, se concentre avant de se mettre au travail ; elle salue à sa manière le jour qui se lève, et une fois de plus apporte la vie.

La peinture académique ne l’intéresse pas, par la voie nourricière du bouddhisme Bang Hai Ja est tout de suite allée à l’essentiel ; sa quête est fondée sur la connaissance véritable du monde, une connaissance qui va au-delà du savoir commun, qui est mystère. Saisie comme insaisissable, connue comme inconnaissable, et toujours ″autre″, toujours différente, abolissant l’ordinaire. Le dénominateur commun c’est le souffle de l’air, l’énergie cosmique, la lumière.

Dans son humilité une ambition occupait Bang Hai Ja, aller à Paris. A la tradition coréenne s’est ajouté, dans son incessant besoin de culture, l’enrichissement par l’approche de l’art occidental ; les peintres de ce qu’on appelait l’école de Paris étaient connus à Séoul, et c’est avec un important bagage visuel que Bang Hai Ja, grâce à ce que lui rapporte une exposition faite en février 1961 à la Bibliothèque Nationale de Séoul, qu ‘elle réunit le pécule lui permettant de partir en mars pour la France.

“Je suis venue à Paris attirée par une lumière, dit-elle. Partir c’était aller plus loin, plus au fond de soi-même … ” Elle s’inscrit à l’Ecole des Beaux-Arts, apprend la peinture à l’huile et la fresque, s’initie à la gravure dans l’atelier Hayter où elle restera plusieurs années, l’icône à l’institut d’Etudes slaves de Meudon, et même le vitrail. Elle est insatiable parce que passionnée ; la peinture pour elle n’est pas un passe-temps, ni un devoir, ou une aventure, mais une ascèse.

Cette jeune femme qui, jamais, n’oubliera ses origines, ses sources, ni sa foi, que la poésie de son enfance guidera toute sa vie, ignore l’angoisse taraudante de la création qui, chez elle, est un acte naturel. Comme un rosier fait des roses, ou les bourgeons le printemps. Elle n’engage pas la peinture dans les mots – il y a la poésie pour ça – ne recours à aucune influence sinon celle de l’amour qu’elle porte en elle, du silence, de la paix. Elle refuse la description, elle a bien des phantasmes qui l’assaillent, mais elle s’enveloppe de mystère pour mieux se préserver des tentations. Pour elle la peinture est désir et célébration.

Elle vit à Paris dans un foyer d’étudiantes où elle montre ses tableaux que remarque, grâce à un ami, le critique Pierre Courthion ; il s’enthousiasme pour ce langage nouveau venu de loin, et préface sa première exposition, en 1967, galerie Florence Houston-Brown, une femme étonnante qui a découvert et présenté plusieurs jeunes artistes. Il décrit ses peintures de l’époque “aux matières différenciées avec subtilité par des collages de cuir ou de substances sablées”, loue la richesse de ses couleurs. “C’est une ‘folie d’en haut’ qui a pris possession de ce jeune pinceau que tient une main inspirée, c’est un amour solide qui habite ce cœur, c’est une foi sans faiblesse qui inspire sa pensée …”

Qu’on me permette d’évoquer cet ami très cher que fut Pierre Courthion, véritable connaisseur au sourire complice des peintres qu’il révéla – et parmi eux Nicolas de Staël. Sa voix douce comme en confidence, son air malicieux , la tête un peu penchée quand il regardait un tableau ou quand il parlait. Courthion, qui n’a cessé de suivre Bang Hai Ja, aurait aimé ce dialogue avec la pierre que constitue l’expérience de la Salpêtrière.

Quand on pénètre dans la rotonde centrale on est saisi par la singularité des formes et par les couleurs, cette sorte d’impressionnisme stellaire que Bang Hai Ja y a installé, non sans appréhension d’ailleurs. Ces réceptacles de lumière où vibrent des constellations ou des germinations d’un monde exploré par un œil et un esprit agile et profond. Ils donnent autant à rêver qu’à participer à cette autre figuration des choses dont on devine qu’elle vient d’un pays où, vivant en union avec la nature, les peintres et les poètes créent les uns pour les autres un langage d’appels, d’affinités, de correspondances qui trouve sa source dans les phénomènes mais n’en restitue que la suggestion.

Tout chez Bang Hai Ja est transposition dans la lumière de ses émotions qui la guident comme son propre double. Elle ne suit aucun parcours ; depuis ses débuts elle a épuré sa vision et trouvé sa voie en partant de ses effusions pour aboutir à leur expression par le signe et par la couleur. C’est par là qu’elle entre en communication avec autrui à qui elle transmet son énergie vitale.

Pour occuper l’espace de la Salpêtrière Bang Hai Ja a multiplié la diversité des formes et créé des structures légères de papier, des cylindres suspendus, dont l’un de cinq mètres de haut, autour desquels on tourne, des cercles posés sur des panneaux à fond clair ou à même le sol, ou, dans les chapelles latérales, des rectangles également posés par terre mais inclinés.

De tous côtés, ou en élévation, les regards découvrent sur ces textures qui accompagnent l’architecture plus qu’elles ne s’y opposent, les rapports intimes qu’entretient Bang Hai Ja avec le cosmos. L ‘exposition de la Salpêtrière est la projection dans le visible d’une réalité immatérielle ; elle est offrande et appel, rencontre de deux sources de lumière et de paix, celle que contient l’architecture et celle qui vient de ces éclaboussures en facettes, de ces tissages lumineux de l’espace aux sismographies maîtrisées.

“La lumière peint avec moi, écrit Bang Hai Ja dans un de ses poèmes, elle devient mon cœur, je deviens lumière. Toutes les deux nous entrons dans les tableaux…”

Autant que des structures spatiales de matière ses œuvres sont des miroirs.

Bang Hai Ja utilise du papier coréen de feuilles et de plantes fait à la main selon des traditions millénaires par des moniales bouddhistes. On peut le froisser, le modeler, il s’adapte aux mouvements des doigts, les dirige même, et les qualités d’absorption de ce géotextile sont telles qu’il devient la projection et le reflet des désirs de l’artiste. Les taches colorées qu’elle pose recto verso apparaissent en transparence comme autant d ‘éclatements cellulaires, également impalpables à la lumière qui passe à travers les couleurs, donne à voir, d’un côté, comme de l’autre, les mêmes et pourtant dissemblables, phénomènes immatériels de réfractions et de radiations. C’est pourquoi il est si fascinant de tourner autour.

Ces œuvres disent le ciel, l’eau, l’air, la terre, les saisons, en épousent les sortilèges. Il y a une étrange symbiose entre Bang Hai Ja et la cosmogonie dont elle est la transmission. Elle n’est frêle qu’en apparence, sa force réside dans ce qui vient du cœur. Le sien est le cœur du monde. “Peindre avec l’œil du cœur” dit-elle.

Parfois elle fait appel à la terre ; elle a découvert dans les carrières de Roussillon, en Provence, une qualité d’ocre aux vibrations colorées qui l’ont immédiatement séduite. “J’ai senti que j’avais quelque chose de nouveau à faire dans ma peinture” a déclaré Bang Hai Ja. Elle a vu aussitôt comment intégrer cette matière avec le support et l’encre, elle a apporté cet ocre à l’atelier et y a ajouté d’autres pigments , exécuté de nouvelles préparations, et une énergie naissante, dont l’origine était la terre, est apparue dans cet apport imprévu.
Bang Hai Ja a appliqué ses mélanges à du textile non tissé où les couleurs s’absorbent et se répondent. “Je voulais qu’à travers ces pigments naturels la matière devienne lumière…” dit-elle ; mais sous ses doigts sorciers tout devient lumière, et celui qui regarde ces œuvres reçoit comme celle qui les crée, une énergie. “Un sourire intérieur”.

Bang Hai Ja n’a cessé de pratiquer la calligraphie qui est, en quelque sorte, son écriture naturelle, sa respiration, celle de ses origines et des siens, de son être intérieur. Elle révèle tout autant que la peinture la personnalité de son auteur ; ce peut être un poème que l’artiste a composé pour donner la synthèse de son œuvre entière, ou le fragment d’une confidence, d’une confession.

Dans la culture coréenne la calligraphie est un élément de vie à tel point que Bang Hai Ja a parfois l’impression d’être l’instrument qui dicte à son esprit et à ses doigts ce qu’il entend faire de ce qu’ils désirent.

Bang Hai Ja se sert de pinceaux spéciaux en poils de lapin, de lièvre, de loup ou de putois, dont le manche est généralement en bambou ; elle tient le pinceau entre le pouce et l’index, l’annulaire situé en bas et lui donnant la direction. Le poignet, qui reste souple, doit comporter trois qualités, la rapidité, la puissance et la force. L’important est dans le trait, la respiration et le mouvement ; chaque mot, chaque idéogramme ont une beauté intrinsèque.

“Le noir posé, le blanc du papier, de ça, de là, reste vacante en zones inattendues s’éveille, écrit Henri Michaux. C’est le Vide qui pour l’harmonie du monde ne doit jamais faire défaut n’importe où…”

La calligraphie est, pour Bang Hai Ja , une forme de méditation ; elle dit qu’elle aide à élever notre conscience, et que chaque trait a son identité propre. Il n’est pas seulement une forme, il transmet une part des richesses de la création avec lesquelles il entre en communion.

Bang Hai Ja est profondément assurée que son art est aussi un message que la culture de son pays apporte à l’Occident ; non pas seulement pour partager ce qu’elle a elle-même acquis, mais pour transmettre sa propre joie. Elle aime surprendre sur les traits de ceux à qui elle montre ses œuvres le même bonheur qu’elle a elle-même éprouvé. “Quand ils repartent, a-t-elle confié à Charles Juliet, ils sont rayonnants”.

Ils emportent une part de la grâce d’être, de créer et d’aimer.
Poète, Bang Hai Ja a illustré les poètes, et crée des correspondances entre le texte écrit et son inspiration personnelle où elle laisse vagabonder son esprit. Elle a également écrit plusieurs ouvrages de réflexion poétique : “Le Chant du cœur”, “Le Silence du cœur” expriment bien la source et l’intensité de ses rencontres, c’est par le cœur que l’on approche et approfondit l’origine des choses comme s’il existait un œil du cœur. “Peindre avec l’œil du cœur est l’acte de saisir l’image vraie des choses et de manifester la vie qui est en elles” déclare Bang Hai Ja.

Bang Hai Ja a illustré de lavis “Une joie secrète” des poèmes de Charles Juliet, et “Au chant des transparences” de Roselyne Sibille. Charles Juliet a aussi présenté, avec des calligraphies de l’artiste, “Les Mille Monts de lune”, des poèmes composés au long des siècles par des moines bouddhistes coréens ; ils restituent des instants privilégiés de leurs méditations issues de la solitude et du silence. Celui qui parvient à la plus extrême simplicité révèle l’essence de l’être.

En associant les mots de ces moines et ses propres signes Bang Hai Ja partage la démarche de leur pensée ; elle suit le même chemin auquel elle donne une projection visible, un éveil sensible. La main heureuse et l’esprit lucide elle fait alliance avec le temps.

Gao Xing Jian, peintre-écrivain, prix Nobel de littérature, a expliqué pourquoi il a délaissé la peinture : “J’utilise l’encre pour susciter une vision directe, et alors que les blancs se transforment en effets de lumière, l’agencement des blancs, des noirs et des gris se mue en espaces qui créent une profondeur. Cette sorte de “fausse perspective” va jusqu’à se rapprocher de la photographie, comme si elle s’éloignait de la tradition chinoise de l’encre”.

Quand, le matin, Bang Hai Ja pénètre dans son atelier elle ne sait pas ce que la journée lui réserve ; c’est en se recueillant sur ce qu’elle a déjà fait qu’elle perçoit, confusément encore, le devenir des gestes, des sentiments, des désirs, dont la persévérance et la ferveur dessineront la voie où matière et lumière vont accompagner le chant du cœur. L’éternel instant présent.

Pierre Cabanne, 2003
 

33 Les préfaces de Pierre Courthion
[No.3]     Apr/15/2009 03:48:47


1967

Il y a déjà quelques années qu’il m’a été donné de voir les premières toiles faites à Paris par cette jeune coréenne. Le mystère, les magiques significations qui les imprégnaient m’avaient donné aussitôt la certitude que je me trouvais devant une jeune femme qui avait quelque chose à dire par le moyen de la peinture.

Aujourd’hui, Mademoiselle Bang a poussé plus avant sa vision. De sa féerie orientale, elle a fait un pouvoir qui transperce. Le don prodigieux du départ est distribué désormais avec plus d’exigence. La pâte a pris plus d’expression. Le tableau a reçu l’empreinte d’une humanité plus ouverte. A la vue de ces peintures malaxées, aux matières différenciées avec subtilité par des collages de cuir ou de substances sablées, mes yeux deviennent des antennes; ils ont l’impression de toucher ces peintures, de les emporter avec eux plus loin, beaucoup plus loin.

La palette va de tons légèrement cuivrés aux gris chauds, aux verts pâles, aux blancs crémeux qu’avive çà et là l’accent d’un demi-cercle ou d’un triangle. Ce sont autant de visions qu’ouvrent à notre regard les toiles de cette jeune femme entrée en art comme en entre en religion.

«C’est en France que je me suis connue en tant que Coréenne, me dit Mademoiselle Bang, Le fait d’être une étrangère m’a révélée à moi-même. J’ai senti mes différences. J’ai connu la nécessité et j’ai pris la résolution d’être toujours fidèle à ma nature. J’ai connu ici la joie profonde de vivre dans une évolution quotidienne, en hauteur, en largeur, en profondeur, en tant qu’être vivant. A Paris, on est porté par ses semblables. Dans les autres villes, tout m’intéresse, bien sûr, mais je ne sens pas pour travailler, une atmosphère aussi propice.»

Grâce à l’accueil désintéressé de Florence Houston-Brown, Mademoiselle Bang a pu réunir, aux cimaises de la rue du Pré-aux-Clercs, les éléments de sa production parisienne. Néanmoins, dans le petit univers bien à lui auquel il nous convient aujourd’hui, le peintre a gardé toutes les qualités de sa Corée natale, non pas celles qu’on voit sur les cartes postales,  mais les qualités pénétrantes, celles que le souvenir cristallise quand on a quitté les années profondes de l’enfance que l’on porte en soi pour toujours. C’est une «folie d’en haut» qui a pris possession de ce jeune pinceau que tient une main inspirée; c’est un amour solide qui habite ce coeur; c’est une foi sans faiblesse qui inspire la pensée de cette jeune artiste.
Il suffit de voir Haija Bang par un jour maussade, par un jour de doute ou de désespoir, et de regarder sa peinture pour se reprendre à la vie, à la vraie, celle qui ne meurt pas.

 

Pierre Courthion



1970

Quand elle n’est pas à Séoul, sa ville natale, Hai-ja travaille rue Cassette, au fond d’un préau d’école où elle a un atelier provisoire. Revenue récemment de Corée, nous n’avions pas revu depuis trois ans sa peinture qu’elle montre ici renouvelée, amplifiée d’une substance de vie qu’elle n’avait pas alors.

Ces figures abstraites, ou plutôt extraites d’un peintre qui ose s’admettre et s’avouer sans tricherie sont évocatrices de soleils et d’embarquements pour de lointains voyages.

Quand elle est au travail, Hai-ja ne pense pas, mais «se promène, comme elle dit, dans les couleurs». Elle se laisse aller à une intuition créatrice qu’inspire sa vie même, avec ses observations, ses émotions, sa foi. Pour elle, la sensibilité est une élévation de l’esprit qui prend corps de coloration et de substance touchées d’humanité.

Un mystérieux rayonnement émane de ces oeuvres d’une dangereuse innocence, ponctuées d’accents significatifs. Ici, quelques bâtonnets collés à la toile indiquent la direction des rythmes. Là, quelque chose frémit comme une eau de lune. Là encore, un éventail d’aurore s’ouvre  un passage entre les lianes; ou c’est, dans le bouquet quotidien, l’intrusion d’un élément étranger : chiffre, carré d’étoffe, morceau de bois, gaufrage, brillance d’un métal.

Hai-ja travaille en tenant à être fidèle à elle-même. Pas de préciosité, aucun maniérisme ! Sa peinture parcourt l’espace et le temps dans le glissement d’une vie qui se refuse à tout artifice. Avec elle, c’est toujours le lever de quelque chose dans un invisible horizon. Ses surfaces peintes sont autant de parcelles découpées sur la toile ou le panneau. Chacune a ses contours, ses angulosités, ses rythmes, sa signification.

Les dernières oeuvres d’Hai-ja, dont quelques gouaches sur papier ciré, sont ponctuées de signes calligraphiques venus du pays du matin calme, et qui se posent - oiseaux - sur la fraîcheur des tons. C’est l’affirmation du signe sur un parterre de couleurs fraîches en bouquets verts et jaunes, et de blancheurs rompues de brun rouge et de noirs qui, sur la danse des signes et des couleurs, nous apportent une Corée universelle. Depuis 1968, Hai-ja vise à l’accord difficile entre l’Orient et l’Occident, ces deux pôles de l’Esprit. Son art, nacré de songerie vient du dedans. Poussée où la nature se fond dans l’effusion d’un artiste qui la recrée et lui impose avec douceur l’ordre secret de la personne, il est à la fois baptême, mariage, enfantement.

Pierre Courthion




1976
 
Pour la septième fois, BANG Hai Ja nous montre un ensemble de ses peintures en une exposition révélatrice de son exceptionnel talent.

Ses couleurs, nos yeux sont presque devenus des doigts pour en apprécier la substance évocatrice d’écorces, d’algues, de cuirs, de la merveilleuse coagulation de tout un humus automnal. Certains tableaux d’Hai-ja sont comme un tabernacle de signes qui nous laissent entrevoir je ne sais quels lointains de l’âme. Un gaufrage où la main a passé pour froisser, chiffonner, presser tripatouiller le papier confère à la peinture un relief singulier. Cela forme un ensemble construit, bâti même avec force. Tout s’y tient, tout y est placé; les éléments s’y chevauchent et s’y ordonnent avec vivacité.

Dans cet art non imitatif, je ne vois rien d’abstrait, mais un dessin affirmé dont la fantaisie plastique tient à la fois de je ne sais quelle ingénuité préservée et de la confession d’une érudite récitante. Tout y est extrait de la nature tellurienne que nous avons vue à Séoul et à Kyøngju, dans la région où s’étalent les rizières sous les montagnes brunes, où l’eau et la roche ont comme une sauvage solennité.

BANG Hai Ja se montre magicienne dans ces œuvres qu’elle signe au revers du châssis. La première peut-être avec autant de finesse et de simplicité, elle parvient à conserver la couleur, l’écriture et l’esprit du Pays du Matin calme, tout en les rendant accessible à nos yeux d’Occidentaux; cela sans rien d’historique et sans aucun rappel du folklore et du biscornu des toits de son pays. Sa peinture ne connaît pas de frontière, elle est universelle. Nos yeux en suivent avec émerveillement les méandres, les étalements, les imbrications de matières qu’effleure parfois un humour frais. Il y a, dans cet art inspiré, des flottements en drapeau des gris fins de sable, des tracés linéaires inscrits ça et là en cercles, en croissants, en verticales, en symboles, des allusions dont l’éparpillement est rassemblé, contenu, maintenu et finalement sublimé.

Pierre Courthion



1980

Après ses expositions à Paris, en Suisse et à Séoul, Hai-ja nous montre aujourd’hui, chez Massol, les trois dernières années de sa peinture. L’ensemble est une approche de l’inconnu par les moyens visuels de suggestion qui nous reportent au céladon et aux couleurs du pays de Corée. Nous y retrouvons partout la pensée de la rotation de la Terre dans l’infini. Sous une apparence douce, Hai-ja recouvre une ferme volonté. On la sent attachée à son art pour la vie, et quoi qu’il advienne. Elle est l’exemple de la femme qui surmonte la difficulté d’être à la fois peintre épouse et mère. Dans son art, elle montre l’indispensable persévérance dont parlait Corot. Avec cela, attentive, observatrice, méditative, pénétrante. En elle, l’action et la contemplation s’équilibrent.

Je l’ai vue arriver à Paris il y a une vingtaine d’années et peindre ses premières toiles, à l’européenne. Puis, les signes propres au pays du matin calme sont revenus dans son esprit et sous sa main : langage des lignes, suggestion plastique de l’élémentaire et de sa mutation.

Rien n’est moins tape-à-l’oeil que l’art d’Hai-ja. Il demande la concentration du spectateur qui s’aperçoit alors qu’il y a dans cette peinture un appel à la réflexion. C’est comme un bain de spiritualité. La palette se réduit à quelques tons. Les contours sont faits de papier tordu en ficelle, et collés sur le bois ou la toile, ce qui donne aux tracés un relief singulier. Comment dire, chez Hai-ja, la multiplications des lignes : droites, courbes, penchées, serpentines, dans l’espace auquel elles donnent un rythme.  Par un cercle blanc que nous retrouvons souvent dans ses peintures, Hai-ja voudrait faire un rappel du vide affolant de l’espace. Elle s’inspire de la nature, me dit-elle, de toutes les essences de la nature pour les transformer en un aspect qui appelle à la méditation. Toutefois, ce qui, chez un peintre occidental, pourrait dévier vers un art philosophique parvient chez cette femme d’Extrême-Orient à s’intégrer dans des signes d’une simplicité quasi géométrique. Hai-ja part de l’élément brut pour aboutir à la pensée qu’elle nous communique, mais sans jamais abandonner la simplicité. A l’appui de son faire, elle nous montre un morceau de bois que la mer a roulé en fuseau, et auquel les eaux ont tracé d’étonnantes courbures, c’est comme une miraculeuse abstraction.

Au moment où l’on revient à l’art figuratif, souvent de façon trop sommaire, Hai-ja nous amène dans le pays de la suggestion. Partie de la nature, de l’observation des éléments, elle en fait une transposition synthétique, laquelle, sans être directement représentative, n’en est pas moins l’interprétation sublimée et transcendante de l’élémentaire. Dans ses peintures, je retrouve la terre, l’air et l’eau. Quant au feu, au feu sacré, il est en elle.

L’art de Hai-ja concilie harmonieusement les cosmogonies de l’Orient et de l’Occident. Elle a compris que nous ne pouvons pas nous en tenir uniquement à notre intelligence pratique d’Occidentaux, à une explication déductive de l’existence. Mais elle a compris aussi que « qui veut faire l’ange, fait la bête ». Aussi est-ce en partant de l’élémentaire que cette arrière-petite-fille de Lao-Tseu a peint une oeuvre où, sans tomber dans la démonstration, la vision a largement dépassé la vue.   
   
Pierre Courthion



1982


Une nouvelle fois, Hai-ja, la femme peintre coréenne bien connue à Paris et en Europe fait à Séoul, sa ville natale, une exposition de ses oeuvres.
 
Il y a aujourd’hui dans son art une nouvelle figuration des choses. On y sent je ne sais quelle hantise de l’espace et un dévoilement par étapes de son esprit et de sa main en une interposition de sphères, en un tournoiement, en un virevoltage de cercles concentriques.

Matière et poésie, n’est-ce pas là le secret de la peinture ? Comment enfermer l’idée dans la substance quand une pensée en est la détermination? Hai-ja y parvient, car elle ne se contente pas de la juxtaposition de plans d’une seule et facile harmonie de couleurs et de lumières : elle ordonne celles-ci en de très fines gammes, parfois presque évanescentes pour transmettre à nos yeux, en une apparition presque mystique le besoin de faire dire à sa peinture quelque chose qui la dépasse, cela, dans une originale conception de l’espace.

Ce n’est plus la lumière ensoleillée de l’impressionnisme parsemée en taches de soleil sur le sol ou sur la robe de quelque promeneuse. Ce n’est pas non plus le jour plaqué des cubistes, une superposition de plans dans l’espace. Hai-ja nous montre sa lumière dans le rayonnement central d’un foyer incandescent : elle vient à nous du fond annelé d’une couronne semblable au feu d’un astre spirituel. Il me revient devant la peinture de cette enchanteresse la pensée de la Rochefoucault : “Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face.”

C’est encore dans l’espace que, par des rythmes imprévus Hai-ja parvient à nous surprendre. Ce sont autant de flèches qu’elle décoche devant nous en un concert de traits presque musicaux.

Hai-ja a déjà fait dans son art diverses trajectoires dans quoi se reconnaît un inventeur de signes et de réalisations symboliques. Avant tout, son dessein est d’assembler, de réunir, de figurer par le langage des possibilités optiques, un ensemble de formes dont la signification dépasse les simples habitudes de regardant et du regardé. Elle nous donne à voir, dans une rotation de plans et leurs juxtapositions successives l’incarnation de l’infini dans un centre spirituel de lumière.

Pierre Courthion

 

1986


Après ses expositions à Paris et à Séoul, sa ville natale, voici qu'Hai-ja montre à Toronto une trentaine de ses oeuvres.

A chaque fois, l'artiste nous surprend par un renouvellement dans sa peinture. Aujourd'hui, elle ouvre à nos yeux le cosmos d'une palette éthérée. Elle nous emporte dans un espace parcouru d'une lumière dont les rayons percent un impalpable bleu. Tout y est ascensionnel, tout nous trace dans l'espace un chemin mystique. Nous sommes loin des nuages, en un pays géographiquement indescriptible, mais d'une irrésistible attirance, un monde silencieux, sillonné d'embarquements pour la cité future.

L'ensemble est ponctué de collages de buvards juxtaposés en cercles sur des outremers, ou ponctués de signes bruns qui nous attirent dans l'espace et nous aspirent vers le haut.

Chez Hai-ja, tout est ascension, appel vers l'infini. Peinture méditative, direz-vous. Oui, mais sans rien de préconçu, sans définition. Les signes ont l'hermétisme de l'illimité.

Partout, la peinture irradie une lumière, ne serait-ce que la lueur sublimée d'une bougie.

"La peinture est chose mentale" a dit un ancien maître, mais "qui veut faire l'ange, fait la bête" lui a répliqué un idéologue. Aussi, avant toute chose, la peinture a un départ matériel et c'est par une transfiguration qu'elle parvient à nous émouvoir.


Pierre Courthion




35 Les écrits de Charles Juliet
[No.2]     Apr/15/2009 04:19:21


La douce lumière
de
Bang Hai Ja


Charles Juliet


Lorsque vous vous mettez en chemin
vous ne la connaissez que par son absence
que par l’impérieux besoin que vous en avez
Alors vous la cherchez
Sans relâche vous la cherchez
Mais où aller   où la trouver
quelle direction prendre

N’ayant aucune idée claire
et environnée par la nuit
vous avancez à tâtons

Parfois filtre une brève lueur
qui s’éteint tout aussitôt

Bien souvent vous désespérez
de la voir poindre et vous vous découragez

Rien ne semble plus possible

Pourtant toujours vivace
cet inlassable besoin qui vous taraude
relance la recherche

Passent les années

L’obscur travail se poursuit
dans les limbes

Travail ingrat   subtil   exigeant
toujours à recommencer

L’impression que parfois
jamais ne cessera la nuit

Toutefois sans que vous l’ayez remarqué
l’errance est devenue progression

Un trajet se dessine
un espoir s’affirme
la marche se fait
moins hésitante

Progressivement
un ordre se substitue
au doute et à la confusion
Mais la marche est épuisante
Le doute se réinstalle
et vous craignez de rester à jamais
prisonnière du labyrinthe

Plus tard une évidence s’impose
Vous ne pourrez  trouver l’issue
qu’en passant par un total effacement

Votre être s’y refuse et se cabre
mais tout le contraint
à donner son consentement

Alors   soumise   vaincue   anéantie
vous vous enfoncez dans la mort

Les  forces de vie se débattent
mais vient l’instant
où il vous faut véritablement
renoncer

Soudain
sans que vous puissiez rien en dire
la mort a été vécue

Contre toute attente
cette mort vous a engendrée à vous-même
et la lumière a surgi

Cette lumière si longtemps
et âprement recherchée
et que vous n’espériez plus voir apparaître
d’une manière inexplicable
elle a surgi

Elle a surgi
et tout est transformé
tout a pris un nouveau sens

Un chemin encore long reste à parcourir
mais vos pas sont guidés
par une lumière qui ne s’éteint pas

  X           x           x

Au cours de ces années
vous avez peint
et chacune de vos toiles
rend visible
une étape de votre parcours

Cette lumière qui ne vous quitte plus
elle a été longue à se dégager de la nuit
mais maintenant elle est là
claire et stable
enracinée dans un socle
que rien ne peut éroder


Richesse
Fécondité
Sagesse
Ineffable
bonheur
d’être

Une douce lumière
luit et s’épanche
sur vos toiles
et quand nous nous attardons devant elles
une lumière bienfaisante
nous pénètre   nous éclaire
accélère en nous
le battement de la vie


Charles Juliet, 2007




Pour HaiJa


la substance interne
n’est plus qu’un oeil

un oeil acharné
à s’élucider

à pénétrer
le plus enfoui

atteindre
le dedans du dedans

là ou s’offrent
la paix et la lumière

l’inaltérable joyau
de la haute connaissance


Charles Juliet, Jujurieux 2005



La dimension spirituelle de l'œuvre de BANG HAIJA

Alors que s'ouvre cette importante exposition de BANG HAIJA, je voudrais vous faire part de quelques réflexions qui m'ont été inspirées par son œuvre. Mais ce n'est pas sans appréhension que je me risque sur ce terrain. Car il est extrêmement difficile de parler de peinture. Celle-ci est un art du silence. Elle s'adresse directement à nous, à notre sensibilité, sans passer par le truchement des mots. Aussi il est toujours délicat de vouloir faire parler ce silence, d'avoir la sotte prétention de substituer des mots à ce pouvoir que possède une toile de nous émouvoir, de toucher notre sensibilité. Pourtant, je ne veux pas laisser détourner de vous entretenir de cette œuvre qui présentement nous entoure. Car je sais aussi que la peinture, selon la parole d'un peintre majeur, POUSSIN, est de <la pensée qui se voit>. Si donc on considère la peinture sous cet angle, il devient légitime de commenter, de développer la pensée incluse dans une œuvre. <Pensée> n'est pas un mot approprié. Je parlerai plutôt d'une démarche, de ce que l'auteur de cette œuvre a poursuivi en l'élaborant. Mais avant d'aborder ce que j'ai à vous dire au sujet de BANG HAIJA, j'ai besoin de faire un certain détour.

Il y a un siècle, Gauquin, un grand peintre français contemporain de Van Gogh et de Cézanne, a écrit dans une lettre à Strindberg, un écrivain suédois : <Si notre vie est malade, notre art doit être aussi>. Autrement dit, à une société en crise ne peut répondre qu'un art en crise. En premier lieu, on peut s'étonner que Gauguin ait eu ce sentiment que la société dans laquelle il vivait était une société malade. Je ne sais quelles raisons le poussaient à établir ce constat. Mais alors, que n'aurait-il pas dit s'il avait vécu un siècle plus tard dans cette même société occidentale, où effectivement, bien des signes prouvent qu'elle est gravement malade. Des faits-divers, des conflits sociaux, des crises montent à l'envi que bien des choses vont mal, et que bien des hommes ne connaissent qu'injustice, misère et désespoir.

Je reviens à Gauguin et j'observe que son œuvre ne me donne nullement l'impression d'être l'œuvre d'un malade. En revanche, nombreux sont les peintres ayant produit une œuvre au cours de la seconde moitié du vingtième siècle, qui semblent avoir fait écho à cette parole de Gauguin. Quel genre de peinture ont-ils pratiqué? Enclins à reproduire, à signifier cette maladie de la société à l'intérieur de laquelle ils vivaient, ils ont engendré des œuvres agressivement laides, images de désolation, de destruction et de ruines.
Au mois de juin, j'ai eu l'occasion de visiter à Kassel, en Allemagne, La Documenta, une vaste exposition qui se tient en différents lieux de la ville et qui n'est présentée que tous les cinq ans. Cette exposition se propose de nous donner le panorama de la peinture d'avant-garde dans les pays occidentaux. Elle comprenait d'ailleurs peu d'œuvres peintes. La plus grande partie était constituée par des installations, des accumulations, des films vidéo. La plus grande partie de ces œuvres ne donnait à voir que des images de violence, de destruction, les images d'une humanité dégradée, voire en perdition. Les auteurs de ces œuvres sont incontestablement sincères et ne font exprimer que ce qu'ils voient, ce qu'ils vivent. Mais une question se pose. L’art n’a-t-il d’autre fonction que de représenter ce que notre société a de plus laid et de plus désespérant ?  N’a-t-il d’autre rôle que de dénoncer, de mettre en évidence ce qui nous agresse, nous fait vivre dans la peur et l’angoisse ?  Les films vidéo présentés à Kassel montraient des scènes de violence, des actes de guerre, soit ce dont la presse et la télévision nous entretiennent à longueur de temps.  Dès lors, on peut se demander si cet art nous apporte quelque chose.

À l'opposé, il est d’autres peintres, qui ont une toute autre conception de la peinture.  Leur regard ne se porte pas sur la société et leur peinture n’est pas une peinture de révolte, de dénonciation, d’accusation.  Ils se tournent vers leur réalité interne, et leur peinture sera la transcription d’un cheminement, d’une aventure, de cette quête de soi que chaque être humain est appelé à vivre.  Madame Bang fait parie de cette famille de peintres, laquelle est d’ailleurs beaucoup plus restreinte que la précédente.

Adolescente, Madame Bang songeait à écrire, peut-être à devenir écrivain.  Mais les influences familiales, puis celles d’un professeur l’ont insensiblement orientée vers la peinture.  Après avoir suivi une formation à L’école des Beaux-Arts de Séoul, après avoir obtenu son diplôme, la jeune Bang Hai Ja a décidé de se rendre à Paris.  Cette ville l’attirait, car elle savait qu’elle pourrait y rencontrer la peinture moderne et certains de ceux qui la créaient.  Il lui a fallu une belle détermination et un indéniable courage pour quitter sa patrie, pour ensuite vivre dans un autre pays, une autre société, une autre culture.  On peut penser que cette transplantation ne s’est pas faite sans difficultés de toutes sortes.  Mais elle sentait que ce qu’elle voulait faire exigeait qu’elle s’exile et se confronte à tout ce qu’allait lui révéler la capitale française.  L’expérience a montré qu’elle avait eu raison.  À Paris, elle a découvert dans les musées et dans les galeries nombre d’œuvres qu’elle voulait connaître.  Elle a eu l’occasion aussi de rencontrer des peintres de renom, tels que Zao Wou Ki, Léon Zack… De même, elle a été très tôt découverte et aidée par Pierre Courthion, un critique d’art important.

Revenant sur cette période, elle a reconnu que ce séjour lui a permis de se connaître en tant que coréenne, l’a révélée a elle-même.  On a pu dire qu’une chose ne saurait être connue que par son contraire.  Projetée dans un pays fort différent de son pays d’origine, elle a pu porter sur elle un regard distant et prendre conscience de ce qu’elle était profondément.  Nul doute que cela a hâté sa maturation, qu’elle a pu aussi comprendre ce qu’elle voulait être, ce qu’elle voulait accomplir.
Ces premières années lui ont donc permis de faire l’apprentissage d’elle-même, de pleinement se découvrir.  Progressivement, elle a discerné le chemin qu’il lui fallait suivre.  Et ce chemin était ardu.  Il impliquait de vivre dans la solitude, le recueillement, une grande concentration.  Car peindre, c’est en réalité travailler sur deux plans : c’est d’une part réaliser des toiles, et toute en œuvrant, c’est travailler en soi-même.

Une toile est la traduction de ce que le peintre vit.  Autrement dit, une fois qu’il a achevé une toile, il se trouve face à un miroir qui lui révèle ce qu’il est.  Dès lors, maintes questions vont poser à lui.  Des questions enchevêtrées d’ordre psychologiques, existentiel, philosophique et métaphysique.
Ainsi, peindre va de pair avec une recherche de soi, une quête de soi-même.  Mais avant de se rencontrer, avant de naître à soi-même, de nombreux obstacles seront à surmonter.
On dit en Occident que la quête de soi est une véritable descente aux enfers - et ces mots ne sont nullement excessifs.  Non seulement faut-il descendre aux enfers, mais encore faut-il en remonter.

«La création, a dit Madame Bang, est avant tout la voie directe pour atteindre mon propre moi.  En Asie, l’acte de créer est l’accomplissement de soi, l’union entre le moi et l’Univers ».
Pour parvenir à cette union, le peintre doit au préalable s’employer à conquérir une liberté intérieure, soit s’affranchir de toutes sortes de contraintes, d’entraves, de peurs, d’influences, etc… Il doit aussi travailler à dépasser son moi et à atteindre l’imparticularisé.  «L’art ne saurait naître que d’un centre rigoureusement anonyme » a écrit Rilke, un grand poète de langue allemande.

C’est ce qu’indique à sa manière Madame Bang quand elle dit que lorsqu’elle a « fini de peindre, elle n’a plus de place pour signer ».  C’est reconnaître qu’elle s’est totalement effacée et que cette toile qui lui a donné la possibilité d’accéder à l’universel, ne peut être rattachée à une personne.

Enfant, adolescente, Bang Hai Ja a été formée par la religion bouddhiste.  Celle-ci préconise d’emprunter l’Octuple noble chemin, lequel - comme vous savez - suppose la compréhension juste ; la pensée juste, la parole juste, l’action juste, l’effort juste, l’attention juste et la concentration juste.

En cherchant à être vrai, à se développer, à croître en bonté, en intelligence, en liberté, un artiste digne de ce nom s’engage obligatoirement sur un chemin qui pourrait, qui devrait finir par se confondre avec l’Octuple noble chemin bouddhiste.

On voit par là que peindre ne consiste pas à simplement étaler et organiser des couleurs sur une toile.  Peindre est un moyen de se révéler à soi-même et de tendre vers la sagesse.  Cette aventure-là est vécue par les artistes authentiques soucieux de vie spirituelle depuis des siècles et des siècles.  Elle a été suivie par nombre de calligraphes et de peintres lettrés de l’Extrême-Orient.

C’est celle qu’a vécue Shitao un peintre chinois du XVIIe siècle.  L’œuvre de ce peintre, Madame Bang l’a étudiée de fort près lorsqu’elle était à l’École des Beaux Arts de Séoul.  Dans un traité qu’il a écrit sur la peinture, Shitao a dit des choses fondamentales :

«Le plus important pour l’homme, c’est de savoir vénérer ».
«Ma voie des celle de l’Unité qui embrasse l’Universel ».

Et il cite le Livre des Mutations, un des ouvrages fondateurs de la pensée chinoise :

«L’homme de bien œuvre en lui-même sans relâche».

Ce besoin de peindre qui habite Madame Bang lui impose de nourrir en permanence la source intérieure qui alimente sa création. Car lorsqu’elle est hors de son atelier, elle maintient sa vigilance, continue d’être en état de réceptivité, elle ne cesse pas d’être occupée par ce qu’elle poursuit.

En peignant, elle active sa réalité interne, intensifie son rapport à elle-même et son rapport au monde. Comme Shitao, elle a dilaté son espace intérieur jusqu’à pouvoir accueillir en elle l’essence et l’immensité de la vie, jusqu’à pouvoir entrer en communion avec l’univers.

Son œuvre aux couleurs si douces, si délicates, nous met en contact avec le meilleur de nous-même, et aussi avec cet inexprimable que l’on rencontre quand on s’approche du mystère de la vie.  Sa recherche de l’intemporel, de l’impérissable l’a conduite à vivre ces états de surconscience qui l’ont portée à la pointe d’elle-même et lui ont permis de fixer sur ses toiles ce qu’on pourrait nommer l’infiniment subtil - une synthèse de toute ce qu’elle a vécu, de ce qu’elle vit, de ce vers quoi elle tend.

Son œuvre de grand silence nous laisse deviner une ascèse, le long chemin parcouru en direction de la simplicité et de cette lumière qui advient à ceux qui se sont pleinement accomplis. Cette brève présentation, je tiens à l’achever par des mots qu’elle a prononcés : « Mettre une petite touche de couleur, c’est semer une graine de lumière, d’équilibre et de paix. »

En recevant en vous-même ce que ces toiles irradient, puissiez-vous ce soir partir avec en vous un surcroît de lumière et de paix.

Charles Juliet, ouverture de l'exposition Sung-Gok Muséum, Séoul 2002




37 Les écrits en français
[No.1]     Apr/15/2009 07:13:00

André Sauge


LE BLANC


Un blanc dense et pur, non cassé
Mais qui cesse l’espace
N’en finit pas d’être en coup de vent
    d’exposer la force de son évidence à la surface

D’où vient-il ?
    De quelque indicible certitude plaquée à la figure !
C’est à lui que se fixe la figure
A cette façon obstinée qu’il a de se manifester
    de se poser là
    pour y souffler
        la
    violence d’une
            insaisissable
    évidence
Où va-t-il ?
    En ce geste enlevé, souvent, de l’essor
    Il y a là, dans l’espace aérien, et pour en attaquer l’insupportable         
tendance à la dilution
    apposé,
        comme un véritable coup de
            griffe
        une marque incisive
        une serre de l’esprit
Il ne va nulle part.
        Il retient ce qui va.
        Il emporte avec soi la conviction
de tout ce qu’il retient à sa dansité
        en ce brutal élan
        en ce coup de lance qui transperce
        et fait chair la matière

Quelque chose claque dans la toile
Une blanche fulgurance tranche à vif dans le
        milieu  de la sphère
Entre les bords tranchés l’énergie soutenue de forces
        qui s’attirent et se repoussent à la fois

Des rondeurs - plus que des cercles, tant le feu substantiel les sustente -        
dédoublées
            - leur suffisance tranchée -
        s’offrent fruits mûrs de l’être
        perpétuellement jaillissent hors de l’individualité close        
hors de la totalité vers l’unité aimante
 
Tout ici est tension
Tout est conflit nourricier de l’échange
Rien n’y est querelle, dispute mesquine.
Nulle part n’est faite à l’envie.
            Expansion.
        Lente, ample exaltation de la
            générosité
Le tableau
    suspendu
            entre deux extrêmes des
            énergies. 
Au-dessus leur lieu de leur dilution, de leur dispersion,
    de leur déperdition.
Au-dessous le foyer invisible où elle se nouent
Tantôt plus proche de ce noeud de concentration
    si proche parfois que l’invisible origine
    s’y fait imminemment visible
    en sa blanche irruption qui bouscule
    les langues du feu
Tantôt plus proche de leur déploiement un moment suspendu
    quand dominent les bleus modulés et
    qui donnent au regard l’élan
    pour une danse perpétuelle. 

André Sauge, 1982

 


Un lieu de respiration lumineuse

L’artiste, aujourd’hui, est déjà créateur dans le travail de la matière; il commence avec l’élaboration de sa propre substance, par incorporer une matière inerte pour transférer en elle une qualité de sensibilité qui emprunte à sa propre vie intérieure.

Le peintre, en quête de sa matière, de sa substance, des éléments primordiaux qui donneront au tout sa stance - sa manière d’être, sa façon de se tenir son tour propre - est par là en quête de son inflexion propre, de son mode propre d’inscription du geste, du signe de son incarnation. Voilà ce dont témoignent abondamment les oeuvres antérieures d’Hai-ja.

 Mais le peintre est aussi en quête de sa luminosité, ou qualité particulière qui marque l’apparition à travers le tissé du matériau utilisé, d’une lumière intérieure. Il en est comme si le tableau en venait à respirer de sa propre vie.  Et voilà de quoi témoignent éminemment les oeuvres récentes d’Hai-ja. Or celle-là est la plus difficile, la teinte, qui est comme le cri échappé d’un consentement à un tout d’où le peintre émerge à peine, celui des impressions tactiles, visuelles, celui de retentissement universel et dont le corps est comme la caisse de résonance. S’appuyant sur une matière à laquelle, par un travail préparatoire de longue haleine, de longue respiration, de longs exercices pour la rendre ductile au geste et au toucher du regard, il a conféré de sa propre sensibilité, il lui confie de lui-même ce qui fait signe au-delà de lui-même : telle grâce d’y être, totalement exposé, accordé à plus que soi.

Avec le matériau qu’elle utilise, Hai-ja capte, incarne, fait comme toucher ce qu’il y a de plus insaisissable, de plus impondérable, la luminosité de l’être; elle fait du tableau le lieu où respire la lumière, tantôt en un constant mouvement d’expansion repuisant des énergies de l’intérieur du tableau, sous sa surface, d’où elle diffuse diagonalement ou comme en mouvement d’explosion sur place, à la verticale, selon la direction que lui marque fermement tel franc coup de lance blanc. Tantôt focalisant de toutes parts, l’énergie lumineuse vibre, retenue sous une teinte proche du repos, mais non inerte, sombre, mais rien d’oppressant, froide, mais sans crispation; de là en teintes plus claires, chaudes, elle s’exalte ayant gorgé des figures de sa substance et les entraînant dans le soutenu tourbillon de son déploiement.
Et cela se fait par de subtils froissements de papier comme si quelque feu intérieur, consumation palpitante, y crépitait en silence; par lents mouvements de déchirures, dessinant, sous nos yeux, la naissance d’un monde.

Et cela se fait par de subtils froissements de la pâte elle-même, son application modulée avec délicatesse extrême, mais précision dans la moindre trace de boursouflure, rehaussée de matériau qui en cerne mieux la consistance. Ayant la fermeté d’un sol et la souplesse de la chair, le tableau offre au regard un espace propice à un jeu de poursuite à l’infini de la lumière, qui, selon la configuration du “terrain”, çà et là, reste accrochée ou au contraire glisse sur un sol qu’elle lustre.

Et avec de plus ou moins fréquentes trouées de blancheur, cela se fait en deux teintes dominantes, du côté du bleu et du côté du brun chaud. Pas de heurt de couleurs, pas de chocs voyants; ni confusion, ni dilution de l’énergie cependant; quand la teinte se dilue, c’est pour laisser diffuser l’énergie intérieure, laisser apparaître une intensité vibrante. Entre teintes, figures et fond, des alternances rythmiques sont mises en jeu : souvent les bruns chauds sont concentrés dans les figures qui mobilisent les énergies latentes des bleus calmes du fond. Mais il arrive que le brun coagule en matière grumeleuse, comme soumise à une cuisson intense de la pâte : sur les bords du tableau, rives de la terre desséchée entre lesquelles précipitent les substances bleues du souffle.

André SAUGE 1982


Au coeur de l'ocre…

    Soit de la terre comme thème pictural, non n'importe quelle terre, mais une terre à fine granulation, la terre rouge de Roussillon, par exemple.
    Le tableau sera-t-il une illustration de cette terre - ou même
sa célébration - ? Si cela était, c'est que la terre n'aurait pas atteint au statut de "formant" de la peinture. Son usage n'aurait été qu'anecdotique, décoratif, ornemental, un jeu stylistique.  Non, la terre sera la condition de l'existence picturale du tableau, l'esprit du tableau, si l'on ose dire.
    En poésie, elle serait la métaphore dynamique du poème, celle qui à la fois organise le texte et lui donne son statut de poème, récapitule une expérience du monde, son retentissement, dans une figure en laquelle tous les éléments de la langue conspirent entre eux.

    Mais qu'est-ce qu'une métaphore en peinture?  Qui plus est, dans une peinture qui ne tient pas de discours, qui ne recourt pas aux signes pour transmettre de message, qui fait confiance aux moyens purement picturaux - un matériau coloré qu'une surface peut absorber - capable d'absorber en lui et de retenir la trace des plus subtiles vibrations
Que lui imprime le geste.  Elle est justement la vibration partout répandue, grâce à de subtiles vibrations d'intensité - dans la densité du matériau, dans le camaïeu d'une teinte fondamentale, sans les transparences, dans les éclairages, dans les défauts de saturation - d'un passage du geste se heurtant, de manière infinitésimale, aux incalculables résistances de la matière que le respect du traitement qu'elle subit ne soumet pas tout à fait, mais assouplit.  Elle est considérée comme une donnée du monde et non comme de la matière brute, corvéable à merci, ou  bien comme simple passage obligé de l'expression.
    Ainsi devient-elle comme le support d'une respiration - d'un transfert au regard d'un mouvement respiratoire.  Transformée par le travail du peintre, la terre n'est plus simplement de la terre, elle est la métaphore du geste pictural.  Et si le geste pictural est l'intégrant de toute l'existence du peintre - ce qui veut dire : accueille en lui la façon dont il existe comme lieu de résonance du monde - alors le matériau, selon son style propre de flexion de la lumière,
recueille également en lui, avec la qualité vibratoire du geste, celle d'une résonance du monde.

    Ici, la terre va, de bas en haut, du plus dense au plus léger, du foncé au plus clair, de l'opaque aux premiers déchirements de la transparence, des pulvérulences empâtées, rouges, concentrées, aux pulvérulences plus libres et déliées  évoluant vers une teinte plutôt rosée - diluée - en transparence de laquelle montre des profondeurs, vers la surface, un blanc si calme qu'il bleuit ou devient violacé.. L'ocre jaune serait-il totalement absent ou ne serait-il pas présent parmi les blancs, à la limite de la visibilité, flottement de la lumière?  Ilocalisable  affleurement de la lumière.  Le contraste est entre ce papillonnement d'un feu interne, en bas, dans la fournaise de la matière brassée, durcissant et, en haut, cette légèreté d'une transparence froide, contraste grâce auquel vont de concert les allers et retours d'une respiration qui s'anime et s'apaise et la plongée vers l'infini d'un regard qui s'enfièvre et rassérène.

    La terre n'est pas seulement le constituant, le matériau de base du tableau;  au contraire, elle s'est abolie en tant que matériau; le battement du geste pictural en a fait la substance de base du monde, de la terre jusqu'au ciel - et non seulement sa substance, mais le milieu où il se déploie, non seulement le  milieu où il se déploie, mais le vide d'où il se déploie, non seulement le vide d'où il se déploie, mais le tissé de la lumière.  Et quand elle - la terre - a réussi à la retenir - la lumière - au tamis de ses pulvérulences, quand elle est à la fois la substance qui nourrit le feu et le feu lui-même, alors elle fournit la dépense pour la fête du regard.

    Tout en bas, transparaissent de légères masses noires dont la forme est brouillée par de blancs filaments qu'elle paraissent arracher à la profondeur : cela couvre au milieu d'un feu de braise intense et animé  d'une froide détermination en même temps.  Plus haut, se détachant du fond, un vol de papillons aux ailes noires cinglées de filaments lumineux.  Voilà ce que recèle l'énergie intérieure de la terre :  une activité fébrile de papillons  "fouailleurs"  faisant jaillir des ses entrailles des mottes de blancheur - quelles joyeuses cabrioles! Vraiment, ça s'en donne à coeur joie par ici! À rien qu'au plaisir de la blancheur bondissante.  Non qu'ils veuillent s'en nourrir de cette blancheur : ils ne pompent pas les sucs intérieurs, ces papillons-là.  Ils sont de provisoires propositions de l'animation de l'espace du dedans et ses turbulences.  La blancheur déchirée avec laquelle ils jaillissent est aussi nécessaire à la noire déflagration de leurs ailes que l'est leur envol pour battre la terre baignant dans la lumière en cette blanche émulsion agitée dans l'air.  Souffle d'un moment du monde ployé à l'angle de courbure que lui imprime le style de la terre.

    Le tableau est ici comme le plateau d'une balance : le fléau est à l'angle gauche du haut; à cette pointe où il s'exténue lui fait contrepoids tout l'invisible qu'il sous-tend et soupèse et qui l'équilibre. 

 André Sauge


Le doigté de l'âme


I  Préparatifs dans  l’atelier du peintre
La mise en scène est ce qui me menace (tout à l’heure, comme le névrosé qui tente de disposer les objets du culte à leur place exacte, dont il ne sait plus si elle était celle d’un unique bonheur trop tard aperçu ou d’un unique malheur irréversible, tout à l’heure, comme un metteur en scène, je disposais mes acteurs tout autour de la scène dont j’occupe maintenant le centre : figurants qui me regardent, ne sont pas muets, parlent sans qu’on les entende, parlent à l’intérieur d’eux-mêmes, au lieu exact où ils se retirent à l’intérieur d’eux-mêmes, où leur visibilité s’enracine dans l’épaisseur de l’invisible).
J’occupe la place du peintre, mais à l’intérieur d’un espace que l’on eût retourné comme un gant ; la peinture de Hai-Ja se noue à quelque foyer de l’invisible, au lieu de plus grande concentration des forces invisibles qu’elle traduit pour nous dans le jour : papiers et bidim sont les capteurs de ses organes tactiles ; toujours la pesée sur la « toile » fibreuse touche juste de sorte que l’épaisseur de la couleur est sensible comme une peau charnelle. La surface peinte m’absorbe en ce lieu (en ces lieux) d’où elle se déploie. La peinture de Hai-Ja ne rend pas visible, elle rend voyant, elle me fait voyant de l’intérieur d’elle-même (la peinture). Cela a même une explication, qui est devant nous, mais pas en face de nous.
Hai-Ja ne nous rejette jamais loin de son expérience picturale : ses tableaux ouvrent des voies, ne se figent jamais en figures bornées, enfermées, closes sur elles-mêmes, jalouses de leur identité, faisant silencieux tapage d’un secret qu’elles renfermeraient. Qu’ils s’organisent en masses vaporeuses se déchirant et étirant en profondeur leurs lambeaux fluctuants, ou autour d’un rectangle central transissant de son feu blanc toute la nuit qui l’enveloppe et lui donnant la teinte des bleues nostalgies apaisées, ou en bandes dépliées aux plis desquelles diffusent des taches de lumière ou de bleu-nuit, ou en losanges disposés comme un grillage, ou en poussinades, ou en floculations plus denses ou plus légères, toujours fond et figures communiquent ; jamais la figure n’y est autre chose que le mode selon lequel le fond donne de son inépuisable abondance.
C’est cela, le monde de Hai-Ja est celui de l’abondance, d’un constant rebond de l’onde sur l’onde en ses multiples variations. Car l’onde n’y est jamais confusion : vibration.
Si la mise en scène me menace, il n’y a jamais de mise en scène dans les tableaux de Hai-Ja, parce que jamais elle ne se tient en face, parce que jamais la forme avec la lumière ne lui vient du dehors : elle fait sans doute partie de ces rares individus, même parmi les peintres, dont le doigté est toujours exact au rendez-vous du regard et pour qui toute couleur est teinte : elle relève à la fois de la vibration lumineuse et du toucher, et par là de ce qui s’existe dans un ressenti qui se sape plus qu’il ne se sait. Elle donne à voir de l’intérieur de la toile. Ici, vraiment, la lumière est une émanation ; elle diffuse ; elle ne vient pas se heurter de l’extérieur à l’obstacle de la pâte opaque.


II  Chez le peintre…
Sur le plateau maculé comme il se doit, empâté, posé sur une table,
les pots – dont je pourrais décliner les formes, les tailles, les matières, les couleurs ;
les pinceaux – dont je pourrais décliner les formes, les rondeurs, les licités, les caresses, les duretés, les aspérités, les épaisseurs, les minceurs…
les couleurs – dont je pourrais décliner les teintes, les complémentarités, les notes fondamentales, là, dans les tubes, les pots, les verres, en attente de la délivrance de leur timbre, compactes, pour l’instant, massives, opaques, enlisées, lisses surfaces faisant le dos rond à la lumière
et là, les tableaux
(rien à voir avec cette géométrie de table, et cette bouderie renfrognée de l’eau maussade sous laquelle se recroqueville le mot)
là, non pour dire l’étonnement du peintre, son émerveillement devant ce qu’offre le tableau et dont il est le premier surpris (« Comment ai-je pu faire cela ?), devant ce qui a mis une distance infranchissable entre ce qu’il comporte et ce que porte le plateau maculé (impossible de voir sans décomposer ce qui s’offre à nos yeux et intérieurement le recomposer : l’acte du peintre n’est pas « cosa mentale », il est la synthèse mentale d’une opération visuelle, manuelle, sensuelle, intellectuelle, avec fibre de soi et poudre de lumière)
(il faut accepter de ne pas avoir dans ma langue de mot juste pour ce que je vois là ; œuvre fera l’affaire ; si je disais historié, ce serait plus juste : attester comme s’il avait été vu ce qui se dérobe à tout témoignage visuel en  première personne, mais on pourrait me reprocher d’ombilicales obsessions)
mais, par le passage obligé du stylo, disposant d’une seule matière et d’une seule pointe,
menacé de ne produire qu’un bric-à-brac, qui ne sera même pas pot, pinceau, couleur, mais un étalage d’idées…
Comment aller à la rencontre du peintre avec un stylo qui n’oublie pas le regard que le peintre a saisi entre mailles ou fibrilles ?
Hai-Ja a elle aussi été une enfant émerveillée devant l’écoulement d’une rivière sous les feuillages traversés de rayons… Il y a là l’eau qui fuit, qui glisse, qui s’échappe, et si vous l’attrapez, ce n’est plus la rivière … Il y a les reflets qui paraissent ne reposer sur rien, qui glissent entre les yeux comme l’eau glisse entre les doigts… Il y a les ombres palpitantes des feuillages… Cette fuite des lueurs, comment la saisir ? S’agit-il bien de saisir une fuite, d’ailleurs ? Ne s’agirait-il pas plutôt de rendre la saisie aussi fugace, légère, subtile, que reflets, lueurs, scintillements, palpitations, glissements ? Et cette immersion des galets et des graviers sous la transparence, non en contacte avec la transparence  ? Cette caresse liquide de l’opacité ? Cet affleurement de la teinte brune des galets avec la transparence et la liquidité de l’eau ? L’eau touchée des yeux qui fait que les galets se retirent en eux-mêmes, et en ce retrait tout se repose. Par eux, la transparence est transparence.
La ressource du peintre est son plus grand risque : la forme lui est donnée avec sa matière. La forme est déjà dans la tache, noire ou de couleur, elle est déjà dans la maculature. Le risque du peintre est de s’abandonner à la facilité de l’empâtement de la toile. D’où la résistance par la figure et le dessin, qui sont comme des mises au pas des séductions de la couleur.
Mais il ne suffit pas d’une tache pour obtenir de la lumière, et il ne suffit pas de la rigueur de la forme pour éviter les pièges de la séduction.
Je ne vois pas le tableau. Il me regarde, ou plutôt, il me fait regard (« il me fait regarder » - ici, je veux dire, en présence des tableaux, je vous assure, le verbe regarder signifie « être regard », et « être regard » veut dire « être sur la garde de toutes choses »).
Voici la solution : la dissolution de Moi (de la somme des émois) dans les eaux qui le recueillent. La nef fait eau de toutes parts, fait lumière par toutes ses brèches.
Ces deux tableaux-là (2004 – 04 – 02 – 06 : B/ 2004 04 -  01 – 05 : A) absorbent en eux le regard, non pour le capter ou le fasciner, mais le rendre égal à la rivière fluide… Une rivière n’a pas besoin d’être vue pour être une rivière : si tu n’y prends garde, dit le tableau du peintre, il n’y a pas de rivière. Le monde aurait pu passer sans qu’une rivière existe. Heureusement qu’un peintre est passé par là.
Dominante A : bleu lavande attiré par le violet
Dominante B : vert émeraude clair lactescent
le mauve dilué
A oblong ; entre les berges rapprochées le courant de l’eau se resserre, les lents tourbillons sont proches, entre lesquels
n’échappe pas ce qui est fluide : le vert turquoise et lactescent…
Dans les profondeurs du bleu lavande, l’eau fait halte
elle vibre sur le grès rugueux et brun
cette sorte de risée brune qui court sur toute la surface où s’accroche la lumière
(Le jaune, la lumière à la fois saisie et fuyante, discrète : et pourtant c’est elle qui éclaire)
Du jaune diffuse la lumière : mais « diffuse » n’est pas juste : fourmille, frémit
Cette rivière sous les yeux où vibre la lumière fluidement immobile et en mouvement perpétuel, encore là pourtant. (Pas de « scintillement » : ce n’est pas  là un cliché de l’eau). Je la touche des yeux…
La rivière n’est pas ce que le peintre a copié : sa vie traverse le tableau ; le tableau est l’entretien de sa vie.
La vision est dans le tableau : le regard fait un avec ce qui lui donne à voir et à s’émerveiller de voir. Le regard est rivière égal à sa liquidité et à sa lumière.
Comme l’eau capte la lumière
les teintes fluides fuient entre les doigts, fuient entre les mailles ;
Ici grâce à la texture fibreuse, filamenteuse et grâce à la translucidité du bidon, les couleurs (vert émeraude, bleu lavande, brun du grès, et cette poussière jaune nichée parmi les rides des plis, aux aguets) ne se figent pas, ne s’enlisent pas (ni ne font de clins d’œil aguicheurs) ; elles sont le support du mouvement, elles retiennent ce qui s’écoule non pour l’immobiliser, mais pour creuser en lui ce vide sans quoi rien ne vient à soi.

Comment dire
ce mouvement d’une si prompte vivacité qu ?
B : le cours est plus ample, le courant plus lent, le repos de l’émeraude impose son rythme,  cette sorte d’amplitude du souffle ; vers le crépuscule la lumière se retire : triomphe la pure diurnité du jour. Ainsi sous le couvert des feuillages, la rivière verte lumière.
L’eau a le temps de se reposer sur elle-même (avec le turquoise lactescent s’étale dans le temps)
de se lisser à sa liquidité
de creuser une vasque pour la lumière
de l’absorber en elle
de l’englutir en la savourant
L’aridité du grès, les profondeurs du bleu-lavande se dissolvent dans le grand courant de la paix émeraude
Ne pas oublier la subtilité dans les touches jaunes
La nef du corps au repos fait eau et lumière de toutes parts

III


Là où le blanc
(en profondeur
dans les déchirures de la toile blanche, ou ocre-beige,
un violet-gris-mauve,
ou encore sous le violet, l’encre de la nuit piquée de la lumière bleu lactescent des étoiles)
occupe la surface en pans de tissu opaque ou comme un voile de gaze,
il s’obstine dans sa blancheur
même imprégné d’une huile qui le rend translucide.
Lui convient mieux la consistance d’une chaux encore humide (sa demeure).
Attente d’une fresque,
Comme s’il ne s’agissait pas de peindre le tableau lui-même mais le support du tableau, comme s’il s’agissait de peindre l’attente du tableau…
Comme si le peintre ne pouvait que préparer le lit du tableau (le linceul du visible ?) avec un drap rugueusement agréable au toucher (tandis que dehors, la lumière du soleil éblouit, son ardeur brûle, à l’ombre, l’odeur de la chaux sur les murs, et l’on croit qu’elle vient d’être répandue). 
Révélation, sous la peinture, de ce qu’elle refoule (une obscurité mauve, et sous le mauve encore, dans la nuit, la claire dilution des étoiles).
Voile de Véronique,
Ne s’imprimant pas,
Mais dont les mailles sont rongées, se décomposent, découvrent des béances mauves,
Comme si l’opération avait été faite à l’envers, que la chaux ait été répandue sur des images qu’elle congédie,
ayant absorbé en elle les figures qu’il lui fallait révéler :
écran qui creuse le tombeau des images,
qui refoule ce qui usurpe la place de la peinture pure.
Pure exposition de l’acte de rendre visible…
La Face divine ronge de l’intérieur le visible,
le décompose comme jalouse de ne pouvoir apparaître…
Un drap blanc : le fond venant occuper la surface : invités à voir à l’envers des choses, à nous enfoncer dans la nuit, à nous laisser aspirer par ses déchirures ; la lumière des étoiles au loin fuit comme par les trous d’une passoire…

IV


Je reviens à ce tableau qui s’ouvre depuis une fenêtre centrale : une surface blanche qui vite se déchire, s’écrête, se défait ; en léger suspens aérien succède une poussière blanche se détachant sur un fond turquoise hésitant vers le bleu ; autour de cette trouée centrale comme une fenêtre, le bleu est partout répandu en trois masses de dilution. Le papier coréen a été froissé diversement.
En bas dominent les plis verticaux où l’encre noire occupe la profondeur des sillons. Sur les arêtes, entre les plis, dans les intervalles entre eux, le bleu de cobalt, plus foncé à la base du tableau, puis dilué lorsqu’il s’élève, même sur les transparences blanches, reste franchement bleu… Comme cette eau aux bords de la Grèce, à la tombée de la nuit, absorbe en elle le bleu sombre du ciel et résiste de toute son opacité huileuse contre l’invasion du noir ; il est demandé à la nuit de rester dehors.
Au centre, à la hauteur de la fenêtre, en masses de densité inégale, plus foncée à droite, plus diluée à gauche, le fond vert affleure à peine perceptible.
Au-dessus de la fenêtre, là où  les limites en deviennent indécises, comme sous la force de la poussée turquoise vers les hauteurs, l’intensité sombre du bleu résiste ; elle s’est logée dans le froissement du papier ; dans le prolongement de la fenêtre, un ocre très finement dilué lui donne une teinte lavande hésitant vers le violet.
La vie du tableau est dans la variation de ses plis et du grain de sa surface, dans le jeu entre plis longitudinaux et froissements compacts, dans la façon dont la peinture laisse libre la pointe des aspérités. En bas, elle suit des lignes, en haut, un jaillissement d’étincelles claires – sur la crête des plis de fines touches d’un blanc opaque absorbé par le bleu – recueille la lumière et la dissémine à tout l’espace.
Est-il un peintre qui soit parvenu à un tel degré de subtilité que de la pointe d’un pinceau mince, il ait été capable de faire autre chose que de répandre de la couleur sur une surface ? La main et le regard d’Hai-Ja sont si exacts au rendez-vous de  la toile qu’ils effleurent les sommets et les pointes des arêtes d’un toucher égal à celui de la lumière… Le grain de la couleur disséminé, là où il se dépose, aussitôt éclôt. Il ne s’enfonce pas dans la pâte : il en jaillit, comme les scintillements de la lumière sur la crête des vagues. La lumière danse.
Doigté de l’âme

V
« Œil de lumière »
Des bandes
L’encre noire des plis, absorbés dans le fond, sur les bords, nettement dessinés au centre
Sur un fond bleu clair, des taches bleu sombre alternent avec des taches (des yeux) d’un jaune clair, proche du blanc, sur un fond ocre, lui-même en transparence sur un fond lumineux (de même teinte que l’œil de lumière).
Toutes les taches, bleu ou jaune claires sont traversées de traits obliques, bleus ou ocre rouge, tous orientés dans la même direction (de bas en haut, de gauche à droite). Les traits sont à la fois flamme réduite à une épure et inscription des lignes de force du souffle, ou de la lumière traversant l’espace comme un souffle. Ce mouvement de la lumière, sa ligne de force ascensionnelle, de gauche vers la droite, est accentuée par la disposition sur une diagonale, d’une bande verticale à une autre, de taches de même teinte. La disposition des taches sur la diagonale n’est cependant pas exacte ; elles oscillent très légèrement autour d’un axe. Il n’y a pas là non plus de sinusoïde absolument régulière. L’ensemble suggère une danse où chaque élément se dispose à distance optimale du voisin, non en raison d’un calcul pour obtenir une égalité absolue dans les intervalles, mais en raison d’une pesée propre à chaque élément, en raison de la force du mouvement interne qui l’habite et l’emporte jusqu’au contact, parfois, de son opposé. 
Loi des groupes à l’intérieur desquels l’intensité de la vie se distribue équitablement entre les individus (tremblement de la justice) ; en chacun d’eux la dépense est optimale : il arrive que la force de l’intensité les entraîne jusqu’au rebond de l’autre.

VI


Pourquoi, au moment de le remarquer ai-je éprouvé le besoin de faire subir une rotation de 180° à ce tableau ? (Je regarde à l’arrière avant de le retourner ; à en juger par la position de l’anneau pour le suspendre, c’est moi qui vois les choses sens dessus-dessous.
•    Non, tu as raison, me dit Hai-Ja. L’encadreur s’est trompé.
Nous verrons que  les choses ne sont pas aussi simples).
Quatre masses de surface (carrée) à peu près égale
se déployant (s’ouvrant) en éventail à partir d’un foyer central,
se répondant deux à deux sur les diagonales.
De gauche à droite, de bas en haut (dans la position que j’ai rétablie)
irrégulièrement inscrites dans un carré, deux masses à dominante violette…
La concentration est la plus forte à l’angle gauche en bas…
A l’approche du centre, la teinte se dilue à l’intérieur d’une masse légère dont la  surface est comme éclairée d’une lueur vaguement livide (une glaise lisse translucide, comme un papier huilé, laissant passer la lumière venant de l’intérieur du tableau – de l’arrière, de son dessous)…
Ayant transité par ce filtre central lisse et livide,
le violet se redéploie vers la droite (très estompé d’abord parmi les lueurs dont la lividité persiste) puis, à la limite supérieure, sur toute la longueur du carré, se concentre à nouveau ; mais la qualité de la teinte a changé : la passion d’une lucide obscurité y brûle avec sérénité.
Il semble que le tableau soit comme un montage expérimental de chimiste,
de filtration d’une teinte violette au travers de cette matière centrale lisse, lividement luisante, il semble que le tableau soit l’élaboration de la teinte d’une couleur (comme si, au moment de saisir sa plus juste tessiture, à cette justesse du ton, de la consistance, de la concentration, au moment où la teinte coïncide avec ce qui lui donne corps, c’est l’esprit qu’il captait dans sa résille)
Il semble que cela est mis en place pour filtrer la couleur de l’obscur qui la rend opaque, délivrer ses résonances… L’esprit est dans la couleur. Il habite le plus volontiers dans la teinte violette.
De droite à gauche
de bas en haut…
L’ocre rouge, à chaque angle, est la couleur dominante des masses comme s’il était doué d’une énergie contre laquelle la froideur du violet ne peut que reculer…
A droite, l’ocre, quoique devenant livide et se creusant de déchirures sous lesquelles un fond noir transparaît en taches disséminées, envahit l’habitat du violet et le repousse vers le haut…
Il repousse ? Non !
L’aspire le vide que creuse le violet allégé de son obscurité pesante.
A gauche, en haut
le violet s’écoule et lisse le feu sous sa froide spatule liquéfiante ; le feu cherche refuge à l’abri de la profondeur et ne refait surface qu’à la pointe extrême de la flèche vectorielle.
Violet et ocre se transforment, mais pas de la même façon : le violet traverse le filtre et se tient en  suspension flottante ; il s’allège ; l’ocre travaille en sourdine pour déchirer le voile livide qui l’empêche de respirer. Il s’accroche au sol.
Que je n’oublie pas les grains jaunes de lumière regroupés comme la poussière des constellations d’une lointaine voie lactée,
à droite, sous forme de fumée qui s’élève et dont la masse la plus amplement déployée se trouve au-dessous de la ligne horizontale médiane, qu’elle déborde vers le haut en concentrations se disposant en cercles (passer la ligne ou le filtre, c’est se concentrer)
tandis qu’à gauche
les jaunes pulvérulences forment un amas au-dessus de la ligne de filtration ; la lividité éteint leur éclat ; de vagues traces rares, disséminées, paraissent s’élever tout droit au devant de leur dilution. Ici, l’esprit attend dans son bocal.
La plus forte concentration ardente apparaît dans une trouée centrale, en profondeur… Elle est le foyer qui fournit l’énergie à la transformation des couleurs (un tableau de Hai Ja est un dispositif pour capter la lumière venant aussi de l’arrière ; il est immergé dans la lumière qui en émerge).
La vie ni la lumière ne sont ailleurs ; elles respirent d’un feu ardent, secret, nocturne, sous un voile qui les recouvre comme un smog. L’intensité déchire.
Non, sur la droite en haut, cette teinte violette dérivant vers un bleu-nuit infusé de lactescences, ce n’est pas l’esprit qui reconquiert sa vigueur, c’est l’esprit qui agonise. Mais il porte en lui un tel appel à rejoindre son imminente clarté qu’il semble à celui qui regarde que c’est lui-même qu’il voit-là luttant pour rejoindre sa propre clarté.
Le tableau regarde…
Je retourne le tableau…
Les masses se désorganisent, plus nettement encore flotte un smog partout répandu…
Mais la lumière en haut à gauche, sous la masse ocre déchirée est explosive…
De la masse violette en haut à droite il est impossible de rien faire. Quoique en transparence sur le noir, elle est terne et le noir n’est que noir.
Non, on ne peut à ce point-là mettre un tableau tête en bas ; il porte en lui ses directions de sens.
Je remets le tableau debout, et je constate ce que je n’avais pas vu : les lignes de force s’incurvent selon le mouvement d’une spirale conchoïdale, du haut à gauche vers le bas, à gauche puis à droite, remontant en suivant les franges de la masse lumineuse (les jaunes ponctuations).
Dès lors le violet change de sens : il est ce que le feu entraîne dans son sillage, la masse froide de la  nuit qu’il effrange peu à peu pour la clarifier et la révéler à sa propre intériorité, la sortir de son enlisement dans le goudron du néant.
Hai-Ja travaille souvent le tableau posé sur le sol et elle le fait tourner sur lui-même… Mais, peignant, elle ne tourne pas en rond :  toute touche de couleur s’inscrit sur la voie, allant s’élargissant, de son échappée belle… Main, regard, vibration intérieure, chez elles, sont accordés entre eux, et il semble qu’ils soient accordés au mouvement d’expansion d’un univers contenant un esprit qui aspire à sa délivrance… Non pas trop : sans la couleur et ce fourmillement de formes naissantes, il se diluerait. Le tableau contient sa respiration.
Yin, Yang, Tao (souffle, voie, rythme) en leur tension et en la résolution, provisoire, de leur tension, sont les puissances qui animent un tableau de Hai-ja ; il n’en est ainsi que parce que, chez elle, dans la couleur,  en son support (papier ou bidim) et dans la touche (le toucher ou le tact)  qui les unit précipite l’unité conflictuelle de la main, du regard et de la résonance intérieure en expansion comme les ondes sur l’onde.

VII

Losanges en expansion selon la voie de lignes obliques…
Une grille pour capter la structure du squelette de la cage thoracique (ça respire, dirait-on).
Des modules comme pour capter les linéaments de l’âme, rendre visible ce qui, sans le tableau – un tableau d’Hai-Ja – n’est que chimère.
Le peintre ne rend pas visible : il fait exister dans le visible ce qui se dérobe à toute preuve, l’insaisissable du vide au cœur du Moi, du Moi-souffle, de l’animation,
le rend tactile, le fait toucher des yeux,
non comme une masse
mais comme une respiration, une extension et un recueillement, une dilatation et une contraction, un suspens à un perpétuel passage. Je suis dans l’évasion.
Trois couleurs (et le noir, et le blanc) :
Ocre (une assise)
Vert turquoise (libre dérive)
Bleu-violet  (absorber : le songe dans le songe s’absorbe)
Des formes
Taches
Sable (ponctuations)
Lambeaux
Follicules
Flocules
Pour explorer des évanescences (aux frontières du visible, les refuites de l’esprit en gésine)
Affleurement de la tactilité de l’âme
Son incarnation, le toucher de son instable composé qui se dérobe au toucher, à la vue, à l’ouïe
Faire de ce qui échappe à toute connaissance l’objeu d’une expérience (donner à toucher l’intact, rien)
Le tableau, parfois, ne fait qu’ouvrir le rideau sur la nuit (tire le rideau)
pour l’apparaître de ce qui refuse de paraître.
Qui regarde ne regarde plus : il coïncide avec ce qui s’apparaît comme un univers dont le centre est partout, la circonférence nulle part.

VIII

Il y a derrière tout cela une facture, de la lumière, non pas heurtée de front, mais prise à de fines mailles, rendue à elle-même par formes jamais fermées sur elle-mêmes et par tintement de la couleur.
Soit le support carré ou rectangulaire du papier coréen (translucide) ou, désormais, du bidim. Prenons donc du bidim.
La suite, je ne connais que Hai-Ja qui en soit capable.
Un large pinceau plat trempé dans un pigment blanc ; l’acrylique servira de liant (plus fluide que  l’huile).
Essayez de tirer une bande droite, de la largeur du pinceau, en suivant le bord de la toile. Je vous garantis la catastrophe : ici, le pinceau n’aura pas touché la toile, là il y aura déposé un amas informe ; les masses et le trait seront irréguliers. De bas en haut de la toile, Hai-Ja tire une bande en tenant avec une telle justesse et avec une telle régularité le pinceau au contact de la toile, qu’au support du bidim elle superpose un tissu blanc aux bords effrangés, d’une épaisseur variant de manière infinitésimale. Et il semble que les déchirures ou les clairières soit elles-mêmes comme l’effet d’un calcul dans la pesée de la main (ou du regard, tant la main lui est accordée).
Puis à côté de la première bande, elle en tire une seconde, puis une troisième, autant que la surface du support peut en comporter. J’ai cru que, pour tenir la juste distance, ou la juste proximité, entre les bandes, Hai-Ja, d’abord, pliait le bidim ou le papier. Non. Le pli est une forme : toujours la distance est sous la garde de la main et du regard.
Le bidim est le support, les bandes blanches sont la toile : je ne sais s’il est beaucoup de peintres qui sont ainsi parvenus à faire de la peinture le support de la peinture (ou, l’on pourrait dire, en retournant la métonymie sur elle-même, le support de la toile. Car cette toile de peinture blanche sera le support de la vie intérieure du tableau, ce qui convoque la lumière à son rendez-vous).
Voici donc que le peintre a préparé sa toile en la peignant. Entre les bandes, dans les plis qui ne sont autres que marges effrangées du tissu, dans les légères déchirures du blanc, il y a là autant de lieux de passage de la lumière venant de l’arrière du support (du bidim). Le peintre trace pour la lumière ses voies.
Hai-Ja ne superpose pas d’abord de la couleur à sa toile, elle peint à l’envers et à l’endroit du tableau (beaucoup de mailles à l’envers, quelques mailles à l’endroit – les points jaunes disséminés, par exemple), jouant de l’opacité (ce bleu clair qui s’infuse dans la blancheur, par exemple) et de la transparence, multipliant ses passes d’escrimeuse pour forcer la lumière jusque dans ses ultimes retranchements.
Ainsi, devant un tableau d’Hai-ja, sommes-nous convoqués à un rendez-vous avec la lumière.
Faisons une histoire cavalière de la peinture depuis ce moment où le programme du tableau n’est plus tracé (depuis la Renaissance en Europe).
Devant l’espace qui, soudain, en même temps qu’il s’ouvrait, se creusait d’une profondeur indéfinie, la perspective a été comme un garde-fou, des lignes pour contenir ce qui fuyait sur les côtés, et les rassembler à ce foyer, là-bas, où renouer l’ombilic du monde.
Je vais vite, je passe sur les innombrables variations rythmiques à  l’intérieur d’un espace clos dont elles s’ingéniaient à nier les limites ; voici venu le temps où la couleur délivre l’espace de la figuration de la perspective, où formes et couleurs se délivrent l’une de l’autre ou entre elles délibèrent. Les foyers de la perspective ne disparaissent pas ; ils se multiplient à l’intérieur du tableau ; le regard du spectateur est constamment dérangé ; la pose lui est interdite ; il est invité à perpétuellement bondir de-ci, de-là, d’ici à là-bas, où ne pas s’attarder. Mais le tableau reste chose que l’on regarde de l’extérieur (pas tout à fait, quand il s’agit d’un tableau de Malevitch ou de Mondrian).
La peinture d’Hai-Ja intègre le regard du spectateur aux rythmes du tableau, à ce qui, dans la plupart de ses tableaux est le support fondamental de leur rythme, le jeu de la lumière. Parce que la lumière vient de l’arrière de la toile, le regard du spectateur va à sa rencontre et, dans cette rencontre, elle l’accueille, le recueille et l’entraîne dans ses jeux infinis.
L’idéal de la peinture d’Hai-Ja, ce sont ces cylindres suspendus au milieu de l’espace (le tableau n’est pas condamné à la platitude du mur ou de la cloison)  autour duquel tourne celui qui regarde, non seulement de l’extérieur, mais surtout de l’intérieur, à partir de cette source imaginaire de son regard que constitue l’axe du cylindre.

André Sauge


Olivier Germain-Thomas

L'AGORA
Une émission d'Olivier Germain-Thomas
France Culture


Entretien avec Bang Hai Ja

O. Germain-Thomas - L'autre jour, au cours d'une discussion sur la peinture, un ami m'a demandé  :
"Mais quel est le critère, objectif, de la présence du sacré dans la peinture?"
Est-ce le sujet? Non, on peut bien représenter des sujets religieux et  ne pas avoir la présence du sacré. Est-ce la nature? Non. Aucun sujet ne représente un critère objectif. C'est une sorte de vibration, très subjective, qui fait que - pour prendre des exemples dans la peinture contemporaine - quand on est en face  d'une toile de Vieira Da Silva, de Braque , de Henri Michaud , il y a un sens du sacré qui se déploie, et que chez certains autres peintres comme Piccaso, par exemple, ce sentiment du sacré n'est, à mon sens, pas présent.

Or, j'ai en face de moi, une peintre d'origine coréenne, Bang Haija et je crois que la principale caractéristique de ses oeuvres, très belle facture, de très haute qualité intérieure et plastique est justement d'exprimer cette présence du sacré.
Et le seul critère, subjectif, que je peux donner c'est qu'en se mettant en face de ses peintures, en faisant le vide en soi, en essayant de s'installer dans un état de grande réceptivité, on  s'apercoit que quelque chose touche notre propre profondeur.
J'ai envie d'aller tout de suite à l'essentiel, sur vos  oeuvres :  Bang Haija, parlez-nous de la lumière.

Bang Haija - L'univers est fait de la lumière, de couleurs, de l'énergie. Nous sommes baignés de la lumière. Tout est lumière. Même le noir est lumière. Les vibrations sont lumière. Elle émane de chaque matière. Par celles que je découvre, j;essaie d'exprimer la lumière intérieure.

O. Germain-Thomas - Vous avez créé un pont entre la lumière extérieure, celle qui nous est donnée objectivement par le ciel, et cette lumière intérieure, or celle-ci n'est pas forcément de même nature que la lumière extérieure. Comment peut-elle se manifester?

Bang Haija - La lumière intérieure est celle que nous captons avec notre regard intérieur, avec "l'oeil du coeur". On ne peut exprimer vraiment que la lumière vue avec le regard intérieur. Je souhaite que mon travail en soit le reflet.
Il m'arrive souvent d'écrire des poèmes en même temps que je peins.
En voici un sur la lumière :


Lumière dans le tableau

Par un trou de la persienne la lumière entre,
peint mon tableau,
Suivant le soleil, je peins la lumière.
Sur le ciel du tableau,
la lumière devient une étoile scintillante,
Mon coeur scintille aussi, et sourit.
La lumière peint avec moi,
elle devient mon coeur,
je deviens lumière.
Toutes les deux, nous entrons dans le tableau,
en chantant, nous devenons l'UN.

D'où vient cette lumière ?
La lumière vient du monde extérieur,
La lumière entre en coulant par la fenêtre,
La lumière naît de la fenêtre de mon coeur,
La lumière vient de la profondeur de la matière,
La lumière vient du monde intérieur,
Toutes ces lumières s'ouvrent lentement
vers l'extérieur, vers l'intérieur,
se répandent et nous rencontrent l'univers.
L'oeil du coeur s'ouvre,
L'image cachée apparaît.


O. Germain-Thomas - En devenant peintre, vous vous êtes trouvée en face de deux traditions de l'expression de la lumière, centre de toute l'aventure de la peinture.
Bang Haija - La tradition est l'instrument de la connaissance. À partir d'une ou de plusieurs traditions, chaque artiste crée sa propre expression.Il est vrai que dans la tradition coréenne, surtout dans la peinture des lettrés, on ne représente pas la lumière extérieurement. La lumière joue avec le plein et le vide, le condensé et le dilué. J'ai eu la chance de connaître l'art occidental dès mon lycée. Mes peintres préférés étaient Cézanne, Rouault, Klee ... Dans la peinture moderne occidentale, la lumière ne vient pas seulement de l'extérieur. Dans l'art abstrait, l'art non figuratif, dans tout cet art qui cherche l'au-delà de la représentation, c'est à travers la matière que jaillit la lumière. Au-delà de toutes ces traditions, ma recherche est aller là où matière et lumière se confondent, tendent vers une nouvelle expression.

O. Germain-Thomas - Nous arrivons, Bang Haija, à ce qui est très important dans votre cheminement , ces vibrations que vous trouvez dans la couleur elle-même. Quelles sont ces vibrations?

Bang Haija - Ce sont les ondes créées par les couleurs, la matière qui rayonne, et par l'énergie qui se produit à travers la création. Alors, l'espace pictural est empli de vibrations. C'est comme le "souffle de la vie" que l'artiste poserait par l'acte de créer.

O. Germain-Thomas - On voit bien que vous êtes constamment dans un va-et-vient entre la réalité intérieure et la réalité de la nature. Vous n'en êtes pas du tout coupée.

Bang Haija - C'est à travers la nature que je sens une union avec moi-même: le tout petit Moi devient l'univers et l'univers devient en moi lumineux. Cette union est très importante pour ma création.

O. Germain-Thomas - Donc il y a une réalité intérieure qui vous permet de trouver une forme picturale, et en retour, le travail de la peinture vous aide dans votre cheminement profond.

Bang Haija - Cette énergie que nous donne la matière par le travail pictural se  transforme en un accomplissement de soi.

O. Germain-Thomas - Vous sentez cette transformation après avoir peint?

Bang Haija - Oui, l'acte de peindre me charge d'énergie vitale.

O. Germain-Thomas - Vous pourriez presque cacher ces peintures, comme si c'était simplement une sorte de journal intime, de support. Néanmoins vous exposez beaucoup, en France, au Canada, aux États-Unis, en Corée,  etc...  Donc il y a la volonté, avec cette peinture, d'aller trouver la conscience de quelqu'un d'autre.

Bang Haija - L'oeuvre une fois créée, sa vie propre commence. Elle doit transmettre son énergie, son chant à autrui. La communication entre le créateur, et celui qui regarde est important. La vie intérieur vibre avec ce qui se passe dans le monde. Et le monde extérieur aide à aller profondément au-dedans de nous-mêmes.

O. Germain-Thomas - Vous  êtes née près de Séoul, dans une famille qui était ouverte à l'art. À l'art traditionnel?

Bang Haija - À l'art tout simplement. Mon grand-père était calligraphe et peintre. Ma mère était douée en tout : elle était calligraphe, elle écrivait des poèmes, elle chantait, dansait. Elle était institutrice dans un village. Un rayonnement de beauté entourait notre famille. Je baignais dans une ambiance de poésie, de rêve, de joie.

O. Germain-Thomas - Et vous avez choisi de quitter votre pays et d'aller vers la France.

Bang Haija - Quand j'ai terminé les Beaux-Arts, au début des années 60, j'étais très attirée par l'art occidental. Je voulais découvrir Paris qui était le centre de l'art moderne, cette ville où il y aurait la liberté de créer.

On m'a demandé pourquoi j'avais choisi Paris et je l'ai fait dans ce poème.

Paris,
Ville des arts ,
où se rencontrent toutes les cultures du monde,
Ville des aventuriers,
le déracinement allume la flamme de la création,
Ville de beauté,
chaque pas va vers le nouveau.
Ville d'harmonie,
la lumière danse au coeur.
Ville de l'éveil,
la clarté de l'esprit scintille,
Ville de miroir,
l'âme solitaire se s'y reflète.
O Paris !
Je t'ai choisie pour ta liberté.

O. Germain-Thomas - Merci de nous avoir choisi Bang Haija.
Votre quête, qui est d'essayer de transcrire par des formes plastiques ce qui est presque de l'ordre de l'indicible, n'était pas représentée dans la peinture qui se faisait alors à Paris. Vous vous êtes trouvée dans un contraste complet entre cet appel à la beauté et ce qui était l'aventure des années 60-70.

Bang Haija - Quelle que soit la mode picturale parisienne, il y a toujours eu des "passeurs de lumière". Je pense en particulier à Léon Zack, Nicolas de Stael, Véra Szekely, Vieira Da Silva ... et à tant d'autres. J'étais très sensible et émerveillée par toutes les nouvelles inventions de l'art moderne, mais je ne me souciais pas trop de ces courants. Je n'ai pas suivi d'influences. Ce qui m'était plus important était d'aller au plus profond de moi-même pour créer.

O. Germain-Thomas - Et vous n'auriez pas pu le faire en Corée?

Bang Haija - Certainement , oui, mais j'avais besoin de l'Occident pour compléter en moi le monde.

O. Germain-Thomas - Vous êtes devenue peintre non-figuratif, ce qui n'était pas dans la tradition de votre Corée natale.

Bang Haija -  Un peintre authentique tend à l'universel. J'ai reçu pendant mon enfance une tradition, que j'ai enrichie par les techniques occidentales. L'Occident m'a beaucoup apporté. Déjà dans les années 55-60, à la Faculté des Beaux-Arts de Séoul, nous connaissons cette aventure de l'art moderne, abstrait, non--figuratif. Dans ce domaine, l'art occidental moderne rejoint l'art oriental. En Asie, la calligraphie est un art primordial. Et n'est-elle pas une abstraction des formes?

O. Germain-Thomas - Pour la couleur, vous avez choisi tantôt la peinture à l'huile, très diluée, tantôt l'aquarelle, la gouache, parfois l'acrylique et aussi l'encre de Chine.

Bang Haija - En arrivant en France, j'ai beaucoup étudié les expressions très variées des techniques occidentales : la peinture à fresque, l'huile, la gravure l'icône ... et même le vitrail. les différentes techniques me permettent d'explorer l'étendue de mon espace intérieur.

O. Germain-Thomas - Vous avez créé des techniques avec le papier coréen.

Bang Haija - Je l'ai utilisé dès le début de ma création. C'est un papier qui est fait de feuilles et de plantes, de manière traditionnelle, à la main par des moniales bouddhistes. Je suis fascinée par les qualités de ce papier. On peut le froisser, le modeler ... Ses capacités de transformation et d'absorption permettent et libèrent l'expression.

O. Germain-Thomas - Voici un tableau d'une sorte de gris-vert au dos, et comme un filigrane qui apparaît de l'autre côté.

Bang Haija - Oui, les couleurs que je mets devant se marient avec celles que je mets derrière. J'expose parfois j'expose en transparence. La lumière passe à travers ces innombrables couches de couleurs. Cela donne une impression de vitrail, souple, mouvant, subtil.  Cela fait transparent et un peu végétal en même temps. Je suis émerveillée ce jeu Matière-Lumière.

O. Germain-Thomas - Je pense que votre peinture doit recevoir dans un grand état de disponibilité et d'oubli de soi de ressentir cette vibration.

Bang Haija - J'ai cette attitude quand je peins, j'essaie de me mettre dans un état de vide pour que toutes les choses entrent en moi dès qu'elles sont en transparence. Pour rendre à la vie ce que je reçois.

O. Germain-Thomas - Vous sentez, quand les gens regardent vos toiles, que cette communication, cette communion même fonctionne?

Bang Haija -  On me dit y trouver la lumière, le silence, la paix et l'amour que j'ai essayé d'y mettre.

O. Germain-Thomas - On est loin de la manifestation de la singularité d'un moi psychologique, comme l'Occident de la modernité l'a préconisé. Quand vous parlez de l'état de vide, c'est pour que des forces qui vous dépassent, celles de la nature, de la lumière ou du cosmos, puissent s'exprimer à travers vous. Être un lieu de passage et de vérité de la vie.

Bang Haija - Pour être ainsi un lieu de passage, on doit se dégager de l'encombrement de tout le savoir, de toute la connaissance.

O. Germain-Thomas - Dans ce tableau de 1992, la couleur dominante est un perlé bleu violet avec des beiges bruns, clairs, doux, des taches qui se marient les unes aux autres, et au centre il y a comme un cheminement blanc, relativement large, qui module, qui sinue et vers une ouverture, vers le haut.
Et puis voici une peinture que je trouve très réussie. C'est un jeu de taches noires, de taches blanches et de taches grises. Il s'agit d'un papier où le relief joue un grand rôle. La lumière et la couleur l'épousent. Comment viennent ces noirs par exemple? C'est une sorte de dessin que vous faites avant, ou vous laissez aller à une intuition pure?

Bang Haija - J'obtient ces reliefs en froissant le papier. Puis, je passe le pinceau comme une calligraphie libre, comme une danse. Il y a une vibration presque organique qui doit venir, comme le souffle qui anime tout ce qui existe. Parfois, j'ai l'impression que ce n'est pas moi qui peins, mais une force intuitive qui peint à travers moi.

O. Germain-Thomas - Il est remarquable de constater que par votre perception intuitive des vibrations de l'univers, vous joignez les visions des astrophysiciens depuis l'une des plus grandes découvertes de tout les temps : la physique quantique. Il y a, dans la matière, une présence qui nous ouvre sur une autre réalité, impossible à cerner par les mots, mais qui peut se pressentir.

Bang Haija -  En effet, c'est comme si les astrophysiciens par leurs recherches et leur intelligence, et moi par les profondes intuitions qui me traversent, nous nous rejoignons dans la représentation du point ultime. En étudiant et en ressentant la matière jusqu'à sa plus petite particule, apparaît la lumière. Tout mon travail de peindre est de retranscrire cela.

O. Germain-Thomas - Jusqu'à ce siècle, la peinture occidentale avait exprimé le sacré par des figures mythologique ou religieuses. Une autre aventure s'ouvre : l'expression de ce même sacré sans le support du récit. Travail de funambule dans lequel, Bang Haija, vous avancez avec le courage inconscient des enfants!

Bang Haija - Il se trouve que ma peinture rejoint les représentations de la science la plus pointue. De même, il en émane aussi un peu du sacré qu'ont essayé de transmettre les grands mystiques. Je me sens un "récepteur-transmetteur" des ces forces inouïes qui me dépassent. Je mets à leur disposition toute ma technique et toute ma passion.

O. Germain-Thomas - Dans ce tableau-ci, il y a un bleu profond avec des taches scintillantes jaune doré qui nous font penser à des étoiles. Il s'agit de le représenter le ciel, en le métamorphosant.

Bang Haija - Pas de représenter, mais de suggérer. À chacun de ressentir ...  Je sens ce scintillement de lumière en moi.
J'ai fait récemment ce rêve : j'étais en train de peindre un tableau : c'était la mer,  bleue marine, des lumières brillaient, je sentais une main invisible qui me guidait, me montrait. Je l'ai suivie pour donner la lumière ... tout en coup, la mer a commencé à bouger! .... C'était extraordinaire! Cela pour vous dire que c'est ce que je vis au plus profond de moi-même.

O. Germain-Thomas - Mon invitée Bang Haija, est un grand peintre. Et j'aimerais vous faire partager la joie que j'ai:  la joie, cette vibration très intense et intime quand on est en face de ses peintures.
On peut voir certaines oeuvres de Bang Haija à la Galerie FLAK qui se trouve au 8 rue des Beaux-Arts à Paris ou écrire à Bang Haija aux bons soins de AGORA.




 




 




 

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